Le peintre Frédéric DUMESNIL
Edouard Laloire
ANNALES DU CERCLE ARCHEOLOGIQUE D'ENGHIEN, T. VIII, 1915-22, pp. 168-178.
Nous n'avons trouvé, dans les anciens registres paroissiaux de la ville de Bruxelles, que les mentions d'E1isabeth-Hyacinthe du Mesnil, morte dans la paroisse de Ste-Gudule, le 13 mai 1677 et Alphonse Bernard du Mesnil, qui, le 24 août 1697, épouse à Bruxelles, paroisse de Notre-Dame de la Chapelle, Marie Picquart. En 1751 et 1752, le peintre Dumesnil le jeune, professeur à 1'Académie française de St.-Luc, exposait & Paris plusieurs tableaux : Le Christ et la Vierge, Céphale et Procris, une dame de Charité, un abbé au catéchisme, la métamorphose de Syrinx en roseau, deux têtes d'étude, etc. ; tandis que Dumesnil l'ainé, ancien professeur, y présentait, également, comme tableaux: St-Jérôme. St-Jean dans le désert, Hercule au repos, Mercure s'apprêtant à trancher la tête du berger Argus, le portrait de M. Giffet, ancien juge-consul. [Revue universelle des Arts, Bruxelles, 1861, t. XIV, pp. 176, 180, 188, 191). Il est donc né, vraisemblablement, vers 1710. Archives générales da Royaume à Bruxelles, fonds du notariat de Brabant, reg. n° 5093, acte n° 34: son contrat de mariage. Ces renseignements ont été puisés dans les anciens registres paroissiaux de la ville de Bruxelles. AD. Siret, Dictionnaire historiqne ef raiisonné des peintres de fonfes les écoles, Bruxelles, 1883, t. I. p. 296. Archives d'Arenberg, section Maison, registres: Comptes de l'Administration; cartons : Beaux-Arts. Archives générales du royaume à BruXeIIes, Corps des métiers et serments, reg. n° 819, p. 46. - A. PINCHART, La corporation des peintres de Bruxelles (Messager des sciences historiqaes de Gand, 1878, p. 488). Mémoire des débourses faites pour le voyage de Bruges à l'ocasion de la vente des tableaux de M. Wapenart, par ordre de S. A. S. Mgr le Duc d'Arenberg, etc. par fi. Du Mesnil, parti de Bruxelles le 26 may 1774 - jusques an 31 inclus dito, savoir:- pour la diligence de Bruxelles à Gand 3fl. 12s.
- soupé, couché, le lendemain thé, port du porte-manteau jusques à la barque de Bruges 1fl. 11s. 2d.
- sur la barque de Bruges, frais de voiture et diné, port de porte-manteau à l'auberge, 2fl. 5s. 2d.
- de l'arrivée à Bruges le 27, le soir, jusques au le juin le matin exclus, 4 diné Bruges 4fl. 4s., 5 soupé idem, 2fI. Ils. 2d., 5 couché, les mattin du thée, 2fi. 5s.
- Tringgeld aux domestiques, Ofl. 14 S.
- Dépense extraordinaire faitte au sujet des tableaux achettez à Bruges pour S. A. scavoir une caisse, papier, cloux, port des tableaux à l'auberge sur une civière, pour emballer Ies dits tableaux, transport de la dite caisse de tableaux chez M. Fiocco, pour être par lui envoyée à Bruxelles, 6fl. 2s.2d.
Somme totalle 23fl. 6S.
Le peintre reçut cette somme avec 3 pistoles de gratification. Le registre de la corporation des peintres de Bruxetles indique en 1737, comme "apprenti chez Eréderic Dumesnil", le sieur Charles DE Reux. (archives générales du royaume à Bruxelles, corps des métiers et serments, reg. n° 819, p. 60). - Nous avons vu. dans un compte de la Maison d'Arenberg, en 1752, la mention d'un élève, dont on ne donne pas le nom. Plusieurs tableaux dont il est question dans cette notice existent encore dans les collections d'Arenberg. Les anciens registres paroissiaux de Bruxelles, église de Notre-Dame de la Chapelle, fixent la date de sa mort au 7 novembre 1791. Les renseignements relatifs à ce tableau ont été aimablement fournis par notre collègue, M. E. Matthieu.
Nous croyons intéressant de donner, dans ces annales, les renseignements que nous avons recueillis sur un peintre qui a travaillé longtemps à Enghien. Son nom est encore bien connu au pays d'Enghien et plusieurs de ses oeuvres existent encore dans la région : Frédéric DUMESNIL (nom parfois écrit du Mesnit ou Dumaisnil).
On ignore la date et le lieu de sa naissance ; sa famille semble plutôt d'origine étrangère. (1)
Peut-être est-il apparenté à la famille des peintres du même nom, qui se distinguaient à cette époque à Paris, et dont les oeuvres, excellentes, au dire de Siret, sont aujourd'hui introuvables ? (2)
Frédéric Dumesnil était fils de François du Mesnil, qui vivait encore, à Bruxelles, en 1732.
Ill. 1: Le château d'Enghien, d'après une peinture de Fr. Dumesnil, de 1752.
Il épousa 1e 7 avril 1731 (3), à Bruxelles, paroisse de Notre-Dame de la Chapelle, Marie-Philippine Cau, dont il eut plusieurs fils et filles, nés de 1732 à 1755, et tous morts avant 1767 ; en 2d noces, dans la même paroisse, il s'allia à Claire de Cuyper, dont il eut, entre autres, un fils, Hugues-Joseph, baptisé, là aussi, le 18 novembre 1762; enfin, le 8 août 1767, il s'unit, en troisiemes noces, à Bruxelles encore, à Marie Gerstmants. (4) Un de ses fils, François, était, en 1771, élève de l'Académie des Beaux-Arts, à Bruxelles.
Il mourut à Bruxelles, paroisse de la Chapelle, le 7 novembre 1791 (5).
Les recueils imprimés ne nous apprennent rien au sujet de Frédéric Dumesnil. Siret mentionne seulement, à propos du peintre P. F. Dumesnil (Ecole franç. XVIIIe S., portrait, scènes familières et histoire, 1752, etc.), qu'en 1732, un Frédéric Du Mesnil, fut reçu comme étranger, dans la gilde de Saint-Luc, à Bruxelles (6).
F. Dumesnil est certainement à Bruxelles déjà en 1730 : il y exécute, pour le duc Léopold-Philippe d'Arenberg, trois tableaux, des dessus de porte, que l'on plaça à l'hôtel d'Arenberg, place du Sablon, à Bruxelles, dans la chambre joignant le cabinet du duc. Ces peintures lui furent payées, le 1er avril 1730, 10 pistoles = 105 florins, prix déjà appréciable pour l'époque (7).
Nous savons aussi qu'il fui reçu maître, comme "recognu", dans la corporatioa des peintres de Bruxelles, en l'année 1732/33 (8).
Dès cette date, Dumesnil travaille régulièrement pour la Maison d'Arenberg. Le duc d'Arenberg, fidèle à sa tradition familiale de protecteur des Arts, encouragea le jeune peintre, comme il favorisait également, à la même époque, les oeuvres d'autres peintres belges, Klein, Martin j. Geeraerts, Tassart, Leclercq, etc. II le chargea de nombreux travaux et le soutint de ses commandes et subsides jusqu'à sa mort, en 1791. Les archives d'Arenberg contiennent, à cet égard, des renseignements que nous croyons bon de résumer ici.
Son talent devait déjà être bien estimé alors, vu que le duc Léopold-Philippe lui fait faire son portrait, en grand, qu'il paie 36 florins 15 sols, le 10 octobre 1733. Ce tableau fut mis dans la chambre du Conseil à l'hôtel d'Arenberg.
Peu après, en 1745, il peint, pour le duc, deux tableaux, dont l'un représente une tabagie de paysans et l'autre, un corps de garde, pour la somme de 10 pistolles (ou 105 florins) ; et en 1747, le 13 mars, il livre les portraits de l'Empereur d'Autriche, Charles VI, et de I'Impératrice, qui lui sont payés 97 florins 27 sols. Il reçoit, en 1756, 17 fl. 17 S. pour deux petits tableaux, deux marines.
C'est en 1752 qu'il peignit les quatre vues d'Enghien : 11 y consacra 52 jours et reçut pour prix, 169 fl. 17 s. et 4 d.
Ces peintures, d'après les archives, représentent une vue du château d'Enghien avec les jardins ; la colonnade ou les Etoiles, entourées des bosquets ; le mail ; le mont Parnasse. Elles constituent, avec les plans gravés de l'époque, les seules sources iconographiques du château et du superbe parc d'Enghien.
Nous donnons ici, en reproduction, la vue qui doit représenter le château : quelques lignes du bâtiment rappellent ce que l'on en connaît ; mais son architecture et le costume du personnage du premier plan dénotent le XVIIè siècle ! La représentation de l'église d'Enghien semble aussi fantaisiste que celle de la demeure seigneuriale !
Dumesnil a-t-il donné ici une copie d'un tableau du XVIIè siècle, comportant une vue, inconnue, du château ? Les renseignements sont si pauvres, pour cette période ! Ou a-t-il représenté un projet de château, tel que le duc aurait voulu l'avoir ? Le duc qui se promène à l'avant-plan, serait Léopold-Philippe (1690-1754).
Les trois autres vues représentent, certainement, les Etoiles, le mail, le mont Parnasse : avec la quatrième, elles furent acceptées par le duc et payées ; il n'y a pas de motif de douter de l'identification de la vue du château.
A la même époque, elle furent plaçées, au parc d'Enghien, comme dessus de porte dans le cabinet qui conduit aux berceaux : c'est là qu'on pouvait encore les voir il n'y a pas bien longtemps et en admirer le dessin et le coloris.
Vers 1900, elles servirent à décorer le pavillon des roses, situé au milieu du jardin français que le duc Engelbert-Marie a fait ériger dans son parc d'Héverlé.
Le duc Charles-Marie-Raimond d'Arenberg, qui succéda à son père, continua à accorder sa confiance à Dumesnil ; il lui fait faire son portrait-buste ; l'artiste livre en même temps, un tableau représentant un buste de femme coiffée d'un chapeau et un tableau d'histoire, la "reconnaissance d'Achille", copie d'après une esquisse de Rubens. II reçoit, en paiement, pour ces trois peintures, faites "en huile-cire", pour lesquelles il travailla aussi 52 jours, la somme de 169 fl. 7 s. 4 d., le 27 mars 1772.
Vers la même date, il peint une "danse de paysans et de cavaliers à cheval" ; en 1773, une "sainte Familles" payée 116 fl. 13 s. 4 d.
En 1782, il reçoit de la duchesse douairière d'Arenberg, née comtesse Louise-Marguerite de la Marck, une couronne (soit 22 florins 1 sol) pour une copie de son portrait.
Nous ne pouvons mentionner tous ses travaux : les comptes de la Maison signalent, à peu près chaque année, de 1749 à 1775, diverses sommes variant de cent à mille florins pour "solde de ses ouvrages".
Il s'employait également à restaurer les anciens tabteaux, à les retoucher. Voici un mémoire remis au caissier du duc
et pour lequel il perçut, le 18 octobre 1752, la somme de 274 B. 15 S. pour avoir :
"remis en état deux batailles de Parocelles, 8 jours de travail, livré le 30 décembre 1750, 26fl. 2s. 8d.
- remis en état un grand portrait en pied, tout écaillé, 7 jours, livré le 21 septembre 1751, 22fl. 17s. 3d.
- repeint deux portraits de Leurs Majestés impériales, en pastel, qui étaient tout gâtés, 71/2 jours, le 9 may 1752, 24fl. 9s. 9d.
- remis en état une grande bataille de Breydel, fort endommagée, 41/2 jours, le 13 may 1752, 14fl. 13s. 1Od.
- tendu 3 portraits sur des chassis à clef et nettoyé, 1 jour, le 14 juillet 1752, 3fl. 5s. 4d.
- nettoyé et racomodé et repeint 2 paysages, 3 jours, livré le 10 août 1752, 9fl. 16s.
- racomodé des papiers des Indes avec mon éléve, 1 jour, 3fl. 5s. 4d."
En 1778, il reçoit 52 fl. 10 S. pour avoir remis en état un grand tableau, représentant un évêque guérissant des malades, et en 1788, 4 louis d'or (ou 52 fl. 5 S. 4 d.) pour la réparation d'un petit tableau.
La compétence artistique de F. Dumesnil devait être réelle, car le duc d'Arenberg le chargea de plusieurs acquisitions
de tableaux importantes. Nous citerons seulement ici, dans l'ordre chronologique :
en 1756, le 10 janvier, achat de trois tableaux, 2 Breughel et 1 Rembrandt, à l'inventaire des meubles du comte de Lannoy, pour 353fl. 7s. 8d.;
en 1758, le 13 juin, achat d'un petit tableau représentant un petit garçon qui joue de la flûte, à la vente de feu Robyns, pour le prix de 38fl. 3d.;
En 1767, il lui est payé 854fl. 7s. 7 d. pour divers tableaux qu'il acquiert du prince de Rubempré; en 1769, le 24 avril, 95 fl. 6 d. pour 2 tableaux achetés à la vente de M. Van Haren et qui représentent l'un, cinq grosses têtes, et l'autre, la ville d'Amsterdam ; et en 1772, 100 florins pour l'achat d'un tableau représentant "les cinq sens de nature". Le 18 mars 1777, il paie au fermier des ventes publiques 1408fl. 19s. 86d. pour les tableaux qu'il a achetés a la vente du 19 février.
Curieuse est la note qu'il présente au caissier du duc, en 1774, par laquelle Dumesnil annonce qu'il est allé, à Bruges, acheter 4 tableaux à la vente de M. Wappenart : il les a payés 418fl. 16 d. et les a fait expédier à Bruxelles sur la "bilandre" de Jos. De Ruddere. (9).
En 1786, après plus de cinquante ans de travail, Dumesnil s'occupe encore d'achat de tableaux pour le duc (10).
Nous avons déjà dit qu'il trouva dans la famille d'Arenberg une grande protection (11): il en reçut, non seulememt sa maison d'habitation, mais, à partir de 1779, une pension annuelle 350 florins.
Le compte de la Maison de 1791 en indique encore le paiement ; celui de 1792 signale un paiement de 262fl. 10s. pour neuf mois de sa pension viagère comptée au 30 septembre, et un solde de 32 fl. 1 S. 4 d. payé à la fille du peintre pour un mois et 5 jours de la meme pension comptée au jour de sa mort, le 5 novembre. (12).
Dans sa longue carrière artistique, qui va de 1730 à 1791, Dumesnil travailla également pour d'autres personnes: on trouve encore plusieurs de ses tableaux, des scènes religieuses, dans des églises de Nivelles et au musée de cette ville.
Le musée archéologique d'Enghien posséde aussi un tableau qui représente un adolescent en costume élégant, habit rouge galonné d'argent, dans un décor de style s'harmonisant avec le bleu ; au fond, dans l'angle, s'ouvre une perspective sur un jardin décoratif.
C'est le portrait d'un membre de la famille Le Duc, comme l'indiquent les armoiries qui sont peintes au bas de la toile: de sable à la croix ancrée d'argent et au chef du même. On croit y reconnaître un élève du collège des Augustins, puisque le tableau était conservé dans leur chapelle antérieurement à 1885.
La toile mesure 1 m 45 h. X 1 m 031. et porte la signature :
Frédéric Dumesnil pinxit anno 1735
Malgré l'état de la toile fort déteriorée, cette oeuvre offre le mérite d'une composition soignée et d'un pinceau distingué. 11 conviendrait de le faire restaurer. (13)
En 1916, le 28 septembre, on vendit au château des Orchidées, chaussée de Tervueren, à Auderghem, par l'intermédiaire du notaire A. Poelaert, une série de tableaux, entre autres les pièces suivantes, formant le no 59 du catalogue imprimé (i'expert de la vente était M. Arthur Le Roy) :
Dumesnil (F.).
" Cinq panneaux, représentant :
1. Moïse sauvé des eaux par la fille de Pharaon. H. 2,08 m. L. 0,76 m. Toile.
2. Moïse frappant le rocher de la montagne d'Horeb. H. 2,08m. L. 0,76m. Toile.
3. Moïse exposant le serpent d'airain. H. 2,08 m. L. 1,85 m. Toile.
4. Moïse, porteur des tables de la Loi, descendant la montagne de Sinaï. H. 2.08 m. L. 1.63 m. Toile. Signé : F. Dumesnil pinxit. Anno 1739.
5. Moïse brisant les tables de la Loi devant le veau d'or. H. 2,08m. L. 1,37, Toile. Signé sur le piédestal, à la base: F. Dumesnil anno 1739.
- Egalement deux dessus de porte représentant :
1. Le Christ et la Samaritaine. H. 0,80 m. L. 1,35 m. Toile. Signe sur le puits : F. Dumesnil, pinxit.
2. Loth et ses pltes. H. 0,80 m. L. 1,35 m. Toile. Signé à gauche : F. Dumesnil. Pinxit anno 1739.
- Enfin, un trumeau : "Enfant faisant des bulles de savon". M. 1,55 m. L. 0,76 m. Toile ; signé sur le piédestal : F. Dumesnil. Pinxit anno 1739."
Ces tableaux furent achetés par M. Julius Blanche, de Berlin, demeurant à cette date place Sainetelette à Bruxelles, pour le prix de 5100 francs ! Prix qui semble donner une certaine valeur aux oeuvres de Dumesnil.
Ces quelques renseignements qui précèdent nous font connaître un artiste qui tient une place honorable parmi les peintres belges du XVIIIe siècle : sa couleur est vivante ; ses personnages ne sont pas empreints de cette délicatesse que nous trouvons chez Watteau, Pater, Lancret, etc. : ils présentent plus de réalisme ; ses paysages, quoique embellis par l'imagination, sont calmes, reposants, ne s'estompant pas dans des bleus piiles et des verts glauques.
La considération que ne cesse de lui témoigner la famille d'Arenberg ; les prix payés de son vivant et ceux que ses tableaux atteignent aujourd'hui dans les ventes, dénotent la valeur du peintre, dont les oeuvres ont su résister au temps. Cet artiste est pour Enghien d'un intérêt spécial, ayant consacré quatre de ses plus belles peintures à la gloire de son chateau et de son parc merveilleux.
Ill. 2: Fac simile de la signature du peintre.