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Maître de Virgo inter Virgines, Lamentations
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Maître de la Virgo inter Virgines, Annonciation
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Maître de la Virgo inter Virgines, Crucifixion
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Maître de la Virgo inter Virgines, Mise au tombeau
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Giusto da Ganto, Juste de Gand, Maître du triptyque gantois de la Crucifixion
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Maître de la Virgo inter Virgines, Crucifixion
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Maître de la Virgo inter Virgines, Crucifixion
Le Maître de la Virgo inter Virgines
Jacques Toussaint - Bruxelles
ANNALES DU CERCLE ARCHEOLOGIQUE D'ENGHIEN, T. 37, 2003, pp. 63-80.
Introduction
La ville d'Enghien possède au sein de la maison Jonathas consacrée à la tapisserie, un tableau de grande valeur, inconnu de la plupart des amateurs d'art. Il s'agit d'un panneau peint à l'huile à la fin du XVème siècle, représentant une Déploration attribué au Maître de la Virgo inter Virgines.
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Le tableau a été donné par Sœur Rosalie Carion à son entrée en 1815 dans la communauté des sœurs hospitalières de saint Augustin.
Il a donc décoré l'hôpital saint Nicolas pendant un siècle et demi jusqu'à son transfert à Bruxelles pour être restauré à l'Institut Royal du Patrimoine Artistique. Son histoire antérieure est inconnue.
L'hypothèse de sa localisation à la Chartreuse d'Hérinnes ne repose sur aucun fait historique de même que son attribution fantaisiste à Rogier Van der Weyden dont le fils Corneille était entré en 1449 à la dite Chartreuse.
La peinture dans les Pays-Bas au XVème siècle
Une deuxième version de la partie centrale du triptyque de New-York, certainement autographe, se trouve aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique à Bruxelles (inv. 3937). Vrancke Van der Stockt (Bruxelles(?) c.1420 - Bruxelles c.1495). Peintre officiel de la ville de Bruxelles à la mort de Van der Weyden. On lui attribue, sans preuves, une déploration au Musée Mayer-Van den Bergh d'Anvers (cat. 351). Une comparaison avec notre tableau est édifiante. A Anvers une œuvre de qualité mais dans la stricte ligne de Van der Weyden, à Enghien, une œuvre novatrice. Son chef d'œuvre, une Pieta (Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique a Bruxelles, inv. 564), peinte vers 1455-60, est un excellent exemple du traitement de ce thème dans nos provinces, au XVème. Inauguré dans la chapelle Vijd le 6 mai 1432. Jean Legrand, professeur à l'Athenée Jules Bordet a Bruxelles, enseignait que les Temps Modernes devaient s'entendre comme la période s'étendant entre 1432 et 1832, mort de Goethe à Weimar. Quatre siècles ou l'honnête homme pouvait prétendre connaître l'univers dans lequel il vivait. Giusto da Ganto, cite à Urbino de 1473 à 1475, serait le peintre gantois Joos Van Wassenhove, cité à Gand de 1464 a 1469. Appelé en franpais Juste de Gand, nomme ici le Maître du triptyque gantois de la Crucifixion. Le retable Portinari, inv.1525 au Musée des Offices de Florence, a été copié sous l'ordre du gouvernement belge au XIXème. Le panneau central représentant la Nativité se trouve dans la nef de l'Abbaye de Leffe. Bulletin de 17.R.P.A., n° 6, Bruxelles, pp. 183 et ss. L'école du Danube se caractérise d'environ 1500 à 1550 par un style de paysage préromantique qu'annonce le Maître de la Virgo inter Virgines. Citons Albrecht Altdorfer (vers 1480-1538), Rueland Frueauf (vers 1440-1507) et Wolf Huber (1485-1553). D. VANDURA, catalogue en croate du Musée National de Croatie à Zagreb, 1988, pp. 99-101. Musée BoymansVan Beuningen, cat. Dutch and Flemish painting 14001550, n° 14, Rotterdam, 1994, pp. 8083. Pieter Saenredam (15971665) voir au Musée David et Alice Van Buuren à Bruxelles: un intérieur d'église d'un grand dépouillement. Walker Art Gallery Foreign Schools catalogue, nº 1014, Liverpool, 1963, pp. 112-113. Sandro Botticelli (14451510) la Pieta date des dernières années du peintre influencé par les prédications de Savonarole. Une deuxième version de l'atelier de Botticelli se trouve aux Musées Royaux des BeauxArts de Belgique à Bruxelles inv. n° 7105. Michael Pacher (0 c. 1430 t Salzbourg 1498), important peintre autrichien qui réalise une synthèse originale des écoles flamande et italienne du nord (Mantegna). Hieronymus Bosch (0 BoisleDuc c. 1453 tI516). Rapprocher, entre autres, la Nativité de Berlin du Maître de la Virgo inter Virgines et le même sujet traité par Bosch, connu par deux copies anciennes (Cologne et Bruxelles). Je laisse à mon confrère Vandura (voir note 8) le soin de développer sa thèse.Le siècle des Maîtres faussement appelés Primitifs s'étend en réalité de 1390, - début des travaux à Ypres de Melchior Broederlam pour la Chartreuse de Champmol - à 1523, date de la mort de Gérard David, dernier grand peintre de l'époque gothique déjà ouvert à l'esprit de la Renaissance.
Le premier centre, éphémère, est Tournai où travaille l'énigmatique Maître de Flémalle (nom emprunté à une abbaye de la région liégeoise qui n'a jamais existé) identifié par certains à Robert Campin. On lui attribue d'une part, des œuvres de petit et moyen format où l'accent est mis sur l'intimité spiritualisée du sujet (le triptyque de l'Annonciation de Mérode au Metropolitan Museum de New-York) (1), d'autre part des œuvres d'une grandeur épique, par la taille et la structure quasi tridimensionnelle (les panneaux du Staedel Institut à Francfort).
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Il s'agit, selon moi, de deux personnalités différentes, la première étant sans doute le Maître de Rogier Van der Weyden, la seconde dont la force de création rappelle celle de Claus Sluter, le grand innovateur de la sculpture à la fin du XIVème siècle.
Le deuxième centre, Bruxelles, est le plus important sur le plan de la diffusion en Europe des œuvres issues de l'inspiration mystique de son créateur: Rogier Van der Weyden. Celui-ci, venant de Tournai et formé par le Maître de Flémalle (type Annonciation Mérode) dirige un atelier de 1426 à sa mort en 1465. Cet atelier impose la vision rogérienne jusqu'au milieu du siècle suivant, sous Vrancke Van der Stockt (2) et à une demi-douzaine de peintres anonymes sans oublier, au XVIème siècle, Colijn de Coter.
Les multiples innovations thématiques de Rogier influencent profondément la sculpture brabançonne (Jan Borman, le retable de Saint Georges, aux Musées d'Art et d'Histoire à Bruxelles) et la tapisserie bruxelloise (la Justice d'Archambault au Musée de Berne).
Bruges, qui voit Jan Van Eyck s'installer en ses murs en 1425, devient un troisième centre, dont l'importance perdure pendant un siècle, Gérard David décédant en 1523. II est à noter que tous les peintres qui ont formé l'école brugeoise sont originaires d'autres régions : Jan Van Eyck vient de la région mosane, Memling de Seligenstadt en Bavière et Gérard David d'Ouwater en Hollande.
Alors que les progrès techniques dans l'emploi de la peinture à l'huile dus à Jan Van Eyck seront exploités par toute l'école flamande, ce dernier ne connait qu'un disciple : Petrus Christus
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. Les modèles de Memling, eux, serviront à une série de Maîtres anonymes au talent souvent inférieur à leurs homologues bruxellois.
Le quatrième centre est Louvain ou peint, en solitaire, Dirk Bouts de 1457 à 1475. Son art austère et grandiose ne sera pas compris par ses fils. Quentin Metsys, né à Louvain, développera à Anvers, la nouvelle grande métropole qui au XVIème siècle supplante Bruges, un art renaissant ou se marque, avec une subtilité toute nordique, l'influence de Léonard de Vinci.
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Gand, le cinquième et dernier centre chronologiquement parlant, est celui qui nous intéresse aujourd'hui car il verra le Maître de la Virgo inter Virgines étudier d'une part l'œuvre de Juste de Gand actif dans sa ville natale de 1460 à 1469, date de son départ pour Urbin, appelé par le Duc de Montefeltre et, d'autre part, l'œuvre de Hugo Van der Goes travaillant une dizaine d'années dans la métropole drapière entre 1467 et 1478, année de son entrée au Monastère du Rouge-Cloître dans la forêt de Soignes.
L'école gantoise de peinture est très difficile à cerner, malgré l'exposition de 1975 et le remarquable catalogue scientifique qui l'accompagnait.
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La présence rayonnante du retable de l'Adoration de l'Agneau Mystique (4) de Jan Van Eyck éblouit l'amateur et l'empêche de voir ce qui subsiste, in situ, de l'école locale au XVème siècle. Les noms de Nabur Martin, Gérard Van der Meere et Daniel de Rijcke ne peuvent valablement être rapprochés des quelques œuvres subsistantes.
L'œuvre la plus importante, après l'Agneau Mystique, conservée à Gand en la cathédrale saint Bavon, est le triptyque de la Crucifixion. (ill.2) Son attribution a suscité des polémiques retentissantes et n'est toujours pas résolue. A mon sens, il est exclu de l'attribuer à la main de Giusto da Ganto (5), auteur de la Communion des Apôtres du palais ducal d'Urbino. (ill.3) Cette œuvre présente trop d'erreurs de perspective et de faiblesses de dessin incompatibles avec la maîtrise absolue du retable gantois. Ce triptyque, chef-d'œuvre méconnu et profondement original, est la pierre angulaire de l'art gantois du XVème siècle et le Maître de la Virgo inter Virgines l'étudiera tant pour les attitudes glissantes des personnages que pour la disposition de ses paysages en coulisses.
Le second Maître, Hugo Van der Goes, auteur de l'Adoration des bergers commandée par Tomaso Portinari, marquera le Maître de la Virgo inter Virgines par l'intensité humaine de ses personnages, le drame qui s'annonce et que, seule, la Vièrge devine, le réalisme plébéien des bergers et la calme grandeur du paysage depouillé. (6)
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Je propose donc un séjour prolongé du Maître de la Virgo inter Virgines à Gand dans le sillage de ces deux génies : le Maître du triptyque gantois de la crucifixion et Van der Goes.
Le Maître de la Virgo inter Virgines (son nom d'emprunt).
Le peintre de la Déploration d'Enghien est un maître inconnu du troisième tiers du XVème siècle. Max J. Friedlander, historien d'art allemand (Berlin 1867 - Amsterdam 1958) publie de 1924 à 1933 à Berlin, et de 1935 à 1937 à Leyde, Die Alt- Niederlandische Malerei, ouvrage qui reste fondamental pour l'étude de la peinture aux Pays-Bas de Van Eyck à Bruegel. Cette somme de quatorze volumes, rédigée en allemand, a été traduite en anglais et réactualisée sous la direction d'Ernest Goldschmidt de 1967 à 1976. Son illustration est passée de 1260 photos à plus de 3600. D'autre part, depuis 1951, le Centre d'étude de la peinture du XVème siècle dans les Pays-Bas méridionaux et la Principauté de Liège publie, entre autres, le Corpus de la peinture du XVème siècle dans ces deux régions. Il compte, à ce jour, seize titres illustrés d'environ 3000 clichés.
Ces deux ensembles permettent la recherche, de plus en plus pointue, (depuis l'introduction de techniques d'investigation inédites telles que la dendrochronologie et les réflectogrammes à l'infrarouge), de l'identification de la quinzaine de Maîtres Anonymes flamands et hollandais, parmi les plus importants, qui ornent les cimaises de nos musées.
Je ne reprends pas ici les photothèques de nos grands musées et de l'I.R.P.A. qui sont une autre source de documentation à compléter par le Rijksbureau voor Kunsthistorischedocumentatie de La Haye.
Jacqueline Folie soulignait déjà, dans un article de 1963 (7) , le manque quasi total de données historiques certaines étayant l'attribution traditionnelle de centaines d'œuvres des XVème et XVIème siècles. Le choix d'un nom désignant un maître anonyme repose sur plusieurs critères différents:
- le nom de la ville où se trouve l'œuvre, exemple: le Maître de Francfort (choix malencontreux car le profane attribue la nationalité allemande à ce peintre anversois);
- le nom du premier propriétaire ou d'un collectionneur notoire de l'œuvreclef, exemple: le Maître des portraits Baroncelli (à proscrire, n'étant compris que par les spécialistes);
- la mise en avant-plan d'une caractéristique du style du peintre, exemple: le Maître des feuillages en broderie (excellent à mon avis);
- le sujet de l'œuvre-clef du Maître, exemple: le Maître de la Virgo inter Virgines d'après le tableau conservé au Rijksmuseum d'Amsterdam. (ill.4)
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Cette dénomination offre plusieurs inconvénients:
- son incompréhension par le public;
- sa traduction par certains historiens de l'art: Master of the Virgin among Virgins, le Maître de la Vierge parmi les Vierges sans parler de son abréviation en Virgo-meester !
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Nous verrons plus loin que l'anonyme devrait s'appeler le Maître de la Sainte Trinité, d'après son œuvre la plus riche en nouveautés (Musée de Zagreb) ou le Maître de la Déploration (Musées de Liverpool et d'Enghien) d'après deux œuvres, au sujet identique, chargées d'une émotion, tout à la fois, violente et contenue, unique à la fin du XVème siècle.
Le regroupement des œuvres réalisé par Friedlander dans les années 20 du XXème siècle totalise 31 numéros dont 8 sont d'emblée mis en doute. Des 23 subsistants, on peut raisonnablement soustraire 7 œuvres dues à un on plusieurs imitateurs et 2 (la déploration de New-York et la Résurrection d'Amsterdam) dont la qualité m'incite à les attribuer à un autre anonyme, au dessin raffiné et aux couleurs plus chatoyantes, appartenant au cercle du Maître de la Virgo inter Virgines.
Les 14 œuvres "certaines" sont donc 12 scènes de la vie du Christ :
- l'Annonciation (Rotterdam)
- la Nativité (Vienne et collection privée)
- l'Adoration des Mages (Milan. Berlin, Salzbourg, Philadelphie)
- la Crucifixion (Florence et Barnard Castle)
- la Déploration (Liverpool et Enghien)
- la Mise au tombeau (Saint Louis USA) ainsi que la Sainte Trinité de Zagreb et
- le tableau éponyme d'Amsterdam.
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Le triptyque de la Crucifixion conserve au Bowes Museum de Barnard Castle figure parmi les plus grands retables conservés de la peinture des Pays-Bas. 11 mesure 218 cm de haut sur 379 cm de large. (ill.5)
A titre de comparaison, citons le célèbre triptyque des deux Saints Jean de
Memling à Bruges qui mesure 176 cm sur 351 cm.
Le panneau central s'inspire clairement du triptyque du Maître du triptyque de
Gand (Cathédrale Saint Bavon) : même composition pour le groupe de saintes
femmes à gauche, le groupe à cheval à droite, les trois hautes croix, le paysage
se développant à l'horizon avec le même type de coulisses, les personnages
glissant sur le sol etc. Les couleurs, elles, différent : le triptyque de Gand offre
un coloris d'une grande douceur alors que l'œuvre du Bowes Museum est
extrêmement bigarrée, ceci nuisant quelque peu d'ailleurs à la lisibilité de
l'œuvre. Le Maître de la Virgo inter Virgines veut sans doute trop montrer et
laisse percer une agitation qui annonce le maniérisme. Rappelons que toute
chronologie de l'œuvre du Maître est aléatoire.
Le polyptyque conservé à Salzbourg séduit par ses multiples scènes, disposées en quatre volets, encadrant un panneau central lui aussi divisé en triptyque par la présence de deux murs peints, à gauche, l'arrivée des bergers, à droite, la suite des Mages. (ill.6).
Le centre est réservé à l'Adoration des Mages ou se marque l'influence du deuxième grand Maître de Gand : Hugo Van der Goes. Sur les volets, l'Annonciation, version plus dramatisée que celle de Rotterdam, la Visitation, la Présentation au temple et un Massacre des innocents d'une cruauté extrême. Notons, ici aussi, les mouvements glissants sur le sol. Le paysage qui s'étend derrière la suite des Mages est lui, par contre, d'une grande poésie qui annonce Altdorfer et les peintres du Danube. (8)
La troisième œuvre monumentale est la Sainte Trinité tenue par le conservateur Duro Vandura pour la pièce maîtresse du Musée National Croate de Zagreb. (ill.7) Grandiose, elle présente aussi cette division en trois parties par l'importance donnée aux fins pilastres gothiques du trône de grâce où la Trinité reprend un prototype du Maître de Flemalle que le Maître de la Virgo inter Virgines a pu voir en Brabant.
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Cette œuvre combine d'une manière inédite le thème de la Trinité, ou le Père porte son Fils mort sur la croix, les Anges portant les instruments de sa passion, Marie et Jean dans l'angle gauche et une religieuse, donatrice de l'œuvre, dans l’angle droit, devant deux saintes femmes. Celle de droite porterait sur sa chaussure un autoportrait du peintre selon Duro Vandura. (9)
Ce tableau, exposé à Cologne en 2001, dans le cadre de l'hommage à un Génie sans nom, le Maître du Retable de Saint Barthelemy a retenu l'attention d'un grand nombre de connaisseurs et son auteur mériterait aussi le nom de Génie inconnu.
La force de ce tableau, l'atmosphère mystique conjuguée à un réalisme humain
absolument neuf permet à Vandura d'avancer la thèse osée de voir en le Maître de la Virgo inter Virgines, le maître de Bosch.
Je suis séduit par cette hypothèse car les deux peintres ont en commun une
dynamique de forme qui laisse loin derrière elle les suiveurs de Van der
Weyden.
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De la série d'œuvres consacrées à la vie du Christ, il faut citer:
- l'Annoncation (10) du Musée Boymans de Rotterdam (ill.8) pour sa composition - un pilier gothique, semblable à ceux de Zagreb, sépare subtilement la servante du Seigneur de l'Ange envoyé de Dieu , le coloris raffiné - l'œuvre est en excellent état, la géométrie des lignes du Jardin clos - image de la pureté de la Vierge - qui annonce l'art de Pieter Saenredam (11), poète intime des églises protestantes en Hollande, un siècle plus tard.
- l'Adoration des Mages, des Musées de Berlin, où l'influence de Van der Goes est nette. Noter, à nouveau, la découpe en quatre parties verticales, au moyen de murets, placés en angle, de la scène où, seule, la Vierge s'isole à droite de la composition.
Nous arrivons au thème de la Déploration, qui dans le cycle pictural du calvaire suit la descente de croix (traitée dans le volet droit du triptyque du Bowes Museum) et précède la mise au tombeau.
Ce moment est rendu avec une émotion retenue par le Maître de la Virgo inter Virgines dans le panneau (Saint Louis, USA) (ill.9), d'un format proche de la Déploration de Liverpool, qui doit être considérée comme une œuvre maîtresse.
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La Déploration a été traitée deux fois. Une version se trouve à la Walker Art Gallery de Liverpool (12) (ill.10), elle est plus petite que la version d'Enghien. Sur une surface carrée de 55 cm de côté, le Maître de la Virgo inter Virgines place deux groupes de quatre personnages qui s'attirent l'un l'autre. La trouée dans le paysage, qui se prolonge jusqu'au bord inférieur, crée un effet pictural inédit mais aussi, c'est le plus important, un vide psychologique entre le groupe humain atterré devant le corps disloqué du Christ mort.
Celui-ci, par son aspect pitoyable, est-il encore un Dieu ou un simple mortel. Cette interrogation muette fait de cette œuvre un sommet dans le travail du maître. Elie Faure, s'il l'avait connue, aurait pu écrire qu'elle annonçait la Réforme.
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L'exemplaire d'Enghien, panneau de chêne de 79 x 65 cm, décrit dans un mouvement circulaire qui se déplace de la droite vers la gauche, les derniers moments de la Passion du Christ:
- la descente de croix est située sur un mamelon aride où Nicodème et Joseph d'Arimathie vont recevoir le corps du supplicié descendu de la croix par deux acolytes,
- deux valets s'éloignent, dissimulés par une colline plus petite,
- Nicodème et Joseph d'Arimathie s'avancent, portant la couronne d'épines, les clous et le perizonium, témoins de la crucifixion ainsi que le linceul qui va recevoir le corps du Christ. Ce groupe, très rare, est monumental malgré sa petite taille et évoque les personnages sculptés des retables, brabançons de la même époque,
- la lamentation proprement dite que nous verrons ci-après,
- le transport du corps vers le tombeau,
- la mise au sépulcre creusé dans la roche,
- une ville, dont l'église est de style gothique flamboyant, évoque Jérusalem dans une mise en perspective hésitante mais pittoresque.
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Cette disposition en scènes successives prend sa source dans les représentations théâtrales qui se donnaient devant le parvis de nos églises et cathédrales pendant le moyen-âge.
Memling, dans Les sept joies de la Vierge à Munich et dans La Passion du Christ à Turin, en donne les exemples les plus éloquents, près de 500 personnages ornant ces deux œuvres. Le Maître de la Virgo inter Virgines, cependant, en atténue considérablement l'aspect "bande dessinée" par l'importance donnée au groupe de l'avant plan. Six figures forment une couronne de douleurs autour du corps du Christ offert à nos regards, étendu sur son linceul blanc. La Vierge, écrasée de douleur, veut se pencher sur son Fils mais Saint Jean (où certains historiens ont voulu, à tort selon moi, reconnaître un autoportrait) et une des Marie la retienne avec une grande délicatesse.
A droite, aux pieds du Christ, selon la tradition, s'agenouille la Madeleine au front bombé largement épilé. Son manteau rouge, bouillonnant à ses pieds, fait écho au linceul dont la partie gauche prolonge ce frémissement.
J'y vois un rappel discret des liens qui unissait ces deux êtres dans la vie et un signe de plus que le Maître de la Virgo inter Virgines, artiste « moderne» avant la lettre privilégie le côté humain du drame.
Le Christ, au beau corps nerveux raidi par la mort, a la tête tournée vers le coin inférieur gauche, partie essentielle d'une oblique de composition qui part de la croix centrale du Golgotha, se prolonge par la tête de la Vierge, la jambe de saint Jean et s'achève dans la froideur d'une roche autour de laquelle poussent des ancolies, symbole de la mort.
Un détail doit être relevé: la présence d'une cinquième femme, couchée sur le sol, le visage dissimulé par sa coiffe et par ses mains jointes. Cette représentation, d'un désespoir intense qui va jusqu'à la quasi-disparition de la personne elle-même, est la contemporaine exacte d'une Pieta de Botticelli (13) (Musée Poldi-Pezzoli à Milan) où ce peintre mystique compose une œuvre pyramidale qui voit une des Marie s'anéantir en glissant vers le sol.
La restauration du panneau à l'Institut Royal du Patrimoine Artistique à Bruxelles de 1965 à 1968 a restitué à la composition savante du Maître de la Virgo inter Virgines toute la nervosité de son trait, le raffinement de son coloris où les tons les plus subtils se répondent en un bel canto pictural. Cette restauration a aussi eu le mérite de remettre en valeur le paysage montagneux de l'extrême droite. Ce paysage insolite révèle peut-être un voyage du maître vers le sud de l'Europe. Il est à rapprocher du très beau détail déjà cité dans l'Adoration des Mages conservée à Salzbourg.
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Si on étudie la provenance des œuvres du maître, on s'aperçoit que l'Adoration des Mages de la Brera à Milan provient d'un couvent lombard désaffecté à la fin de l'ancien régime, que la Trinité de Zagreb a été achetée par Monseigneur Strossmayer à Milan, que la Crucifixion des Offices à Florence se trouvait jusqu'en 1792 dans la villa de Poggio à Caiano, appartenant aux Médicis, que le triptyque de Barnard Castle a été acquis à la vente du duc de Lucques, Charles-Louis de Bourbon (règne de 1824 à 1847) et est cité comme provenant d'une église de Lucques.
On constate que quatre œuvres du Maître (dont trois très importantes) se trouvaient en Lombardie et en Toscane à la fin du XVIIIème sièv. Un fait plus significatif est la présence hautement probable à Salzbourg, dans la cathédrale romane détruite au début du XVIIème siècle. du polyptyque de l'Adoration des Mages qui, avant d'arriver au Museum Carolino-Augusteum de cette même ville, passe plusieurs siècles (de 1630 environ, à 1874) dans la Salinenkapelle d'Hallein, près de Salzbourg.
On peut donc émettre l'hypothèse d'un voyage du peintre en Autriche et en Italie entre 1470 et 1500, plusieurs de ses paysages étant totalement différents des paysages néerlandais du XVème siècle.
En résumé, la vie du Maître de la Virgo inter Virgines étant totalement inconnue - sa présence à Delft s'appuie, entre autres, sur le vitrail de l'Annonciation de Rotterdam qui est orné d'armoiries, dont l'identification est mise en doute par certains - nous en sommes réduits à une série d'hypothèses que j'énumère ici:
- Naissance (à Delft ?) vers 1440.
- Rencontre possible avec le premier grand maître des Pays-Bas septentrionaux: Geertgen tot Sint Jans mort à 28 ans à la fin du XVème.
- Présence (prolongée?) à Gand près d'Hugo Van der Goes et du Maître du triptyque gantois de la Crucifixion (alias Juste de Gand).
- Connaissance (de visu) de l'œuvre de Roger Van der Weyden à Bruxelles.
- Voyage en Autriche et en Italie.
- Rencontre possible avec Michael Pacher (14) et Rueland Frueauf le vieux à Salzbourg.
- Retour aux Pays-Bas.
- Maître de Jérôme Bosch, (15) ?
- Décès vers 1500-1510.
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Il ressort de ce qui précède qu'une étude approfondie de la totalité des œuvres attribuées au Maître de la Virgo inter Virgines et à ses suiveurs est hautement souhaitable et qu'elle devrait précéder l'organisation d'une exposition la plus complète possible de son œuvre.
La dernière exposition d'ensemble, où figuraient treize peintures lui attribuées, date de 1958 au Rijksmuseum d'Amsterdam, époque où manquaient la plupart des techniques d'investigation aujourd'hui en nos mains.
L'étude du dessin sous-jacent, la datation de la découpe des panneaux, la provenance du bois permettront de mieux cerner la personnalité fascinante de ce grand artiste.
La ville d'Enghien, riche d'un patrimoine historique et architectural exceptionnel, peut se féliciter de posséder un des plus importants primitifs hollandais de Belgique et cela dans le cadre unique de sa collection de tapisseries originaires d'Enghien.
BIBLIOGRAPHIE
par ordre chronologique de parution
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- Jean LEYMARIE, La peinture hollandaise, Skira, Genève, 1956, pp. 24-26.
- R. VAN LUTTERVELT (dir.) Middeleeuwse Kunst der Noordelijke Nederlanden, Catalogue, Amsterdam, 1958, pp. 65-71.
- K.-G. BOON, De Meester van de Virgo inter Virgines, dans Oud-Delft n°2, Rotterdam / La Haye, 1963, pp 5-35.
- Ignace VANDEVIVERE et Régine GUISLAIN-WITTERMANN, La lamentation du Maître de la Virgo inter Virgines à l'hôpital Saint Nicolas d'Enghien dans, Bulletin de l'Institut royal du Patrimoine Artistique, n° XI Bruxelles, 1969, pp. 109-133.
- Albert CHATELET, Les primitifs hollandais, Fribourg, 1980, pp.146-155. Catalogue de l'œuvre, pp. 231-236.
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- Jeroen GILTAIJ, Dutch and Flemish Paintings in the collection of the Museum Boymans-Van Beuningen dans Van Eyck to Bruegel 1400 to 1550, Rotterdam, 1990, pp. 80-83.
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- Paul PHILIPPOT, La peinture dans les anciens Pays-Bas XVe-XVIe siècles, Paris, 1994, pp. 117-118.
- M.W. (anonyme), Meister der Virgo inter Virgines n° 41 Gnadenstuhl dans, Genie ohne Namen, der Meister des Bartholomaus-Altars, Wallraf-Richartz Museum, Cologne, 2001, pp. 334-335.