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Le Jardin des Fleurs: balustrade et pavillon chinois
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Le Jardin des Fleurs - Gravure de Romeyn de Hooghe
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Le Jardin des Fleurs - Gravure de Romeyn de Hooghe
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Le Jardin des Fleurs - Gravure fin XVIIè, Anonyme
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Le Jardin des Fleurs: escalier contreparti et cascatelle
Le Jardin des Fleurs du Parc d'Enghien
Sondages archéologiques
ISABELLE DERAMAIX et PIERRE-PHILIPPE SARTIEAUX
ANNALES DU CERCLE ARCHEOLOGIQUE D'ENGHIEN, T. XXXII, 1998, pp. 191-208.
Par l'étude de l'évolution des jardins depuis leur création vers 1650 jusqu'à nos jours, on apprend que chaque transformation s'accompagne d'une surélévation du terrain. Cette information précieuse permettait de croire à l'enfouissement du bassin et de la balustrade du jardin des Fleurs. C'est une des raisons pour lesquelles des fouilles archéologiques ont été envisagées dans ce jardin. Par ailleurs les recherches archéologiques devaient apporter un lot d'informations complémentaires à l'étude historique et iconographique des jardins; celle-ci laissant une série d'interrogations notamment sur le plan dimensionnel.
Les travaux archéologiques ont été menés par le service de l 'Archéologie de la Direction de Mons du Ministère de la Région wallonne, en août et septembre 1994. A cause de la végétation, les sondages ont été limités à une tranchée de 3,50 m de large au pied de la balustrade du 20ème siècle. L'ampleur de ces découvertes a nécessité l'ouverture d'une tranchée de 1,50 m de large au dos de cette même balustrade afin d'étudier l'ensemble des fondations (fig. 1). Enfin un décapage a été réalisé à l'emplacement du bassin.
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Le niveau 0 a été établi sur la marche inférieure du pavillon chinois, car ce niveau correspondait à celui du jardin des Fleurons.
LA BALUSTRADE
Les fondations de la balustrade sont conservées sur 1,6 m et tous les parements ont été arrachés. En se référant aux têtes de murs encore en place, par rapport au niveau de la balustrade des pavillons, on peut estimer qu' 1 m des fondations a disparu.
Une coupe perpendiculaire à la balustrade (fig. 2) montre clairement la phase de destruction de celle-ci, par une couche de remblais contenant des briques et des moellons de schiste. Cette couche prend naissance au pied des ressauts de fondation et s'arrête à la limite des fondations de la balustrade du 20ème siècle (2). Elle est surmontée d'une couche moins riche en remblais mais plus humifère (1). Cette dernière couche semble correspondre au nivellement du terrain au 18ème siècle.
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La balustrade a été installée sur une argile jaune ocre rapportée pourvue de briques (3). Cette argile couvre une couche de remblais contenant des briques et des pierres (4). Ce remblai pourrait avoir été apporté vers 1645, date à laquelle les décombres de l'incendie d'une aile du château ont été éparpillés sur les jardins environnants. Sous ce remblai, vient alors une couche d'argile avec traces d'oxydation (5). Par dessous, le sol en place est très argileux et humide (6). De couleur gris bleu, il présente des chablis. Ce sol se situe à 2 m sous le sol actuel.
Comme les deux parties de la balustrade, de part et d'autre de l'escalier, divergent à plusieurs reprises, la balustrade nord (côté pavillon chinois) et la balustrade sud (côté pavillon aux toiles) seront présentées séparément. Chaque balustrade fait 33m de long. Elles sont rythmées par 8 pilastres de 84 cm, délimitant ainsi 8 travées de 3,15m (fig. 1). On ne remarque pas d'aménagement précis pour les pilastres qui varie selon les pilastres. Chaque pilastre se détache par un léger relief en façade et un ressaut mieux marqué.
La balustrade sud
Le mur de soutènement de la balustrade sud est réalisé presque exclusivement en briques. On distingue trois ressauts de fondation. Le ressaut le plus haut est large de 20 à 30 cm. C'est sur ce ressaut que se placent les pierres de soubassement. Le second ressaut est plus bas d'une épaisseur d'une brique. Il est large d'une vingtaine de cm. Le dernier ressaut est plus bas de 15 cm; sa largeur est de 60 cm (fig. 3).
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Sur la face avant, les ancrages des pierres de soubassement sont encore visibles. Par-dessus se trouvent deux empreintes de cordons en pierre. Les hauteurs du soubassement (30 cm) et des 2 cordons (11 et 12,5 cm) sont similaires à celles des pavillons. Ces cordons devaient être, l'un en pierre bleue, l'autre en grès, comme pour les pavillons.
Chaque travée est traversée par une conduite de ± 15 cm de large sur 30 cm de haut (fig. 3). Cette conduite part du dos de la balustrade (des canalisations arrière, cf. infra) et arrive au même niveau que la pierre de soubassement. De là, se place verticalement une autre conduite qui rejoint un caniveau en pente, aménagé dans les ressauts de fondation. Les conduites présentent un enduit de chaux plaqué sur les briques qui les délimitent. Le caniveau est constitué d'un lit de briques surmonté de dalles de schiste. Ce caniveau débouche sur un second qui longe le premier ressaut de fondation sans y être cimenté. Ce dernier est composé de 3 assises de briques reposant sur l'argile et surmontées de dalles en schiste. Sa pente dirige les eaux vers le sud.
Au dos de la balustrade a été retrouvée une canalisation. Elle est constituée, d'une part, du mur de fondation, d'autre part, d'un mur en briques (large le plus souvent d'une longueur de brique) et d'un sol fait de briques recouvertes de chaux. Elle suit en alternance un parcours rectiligne et en arc de cercle. Les parties arquées se retrouvant au centre de chaque travée. Le sol ondule de manière régulière et la courbe la plus basse se situe en vis-à-vis de la conduite traversant la fondation. Au même endroit, le mur en briques ne repose pas sur le sol de la canalisation mais sur l'argile, provoquant ainsi une ouverture vers les jardins hauts. La largeur de la canalisation n'est pas constante, elle varie entre 15 cm et 35 cm. A proximité du pavillon aux toiles, un petit muret ferme partiellement la canalisation puisqu'il laisse une ouverture sur l'argile. A chaque début d'arc et au même niveau que chaque pilastre un petit "arc-boutant" joint les 2 murs de la canalisation. Leur rôle est probablement d'éviter l'écrasement du muret sous la pression des terres des jardins.
La circulation des eaux dans ce réseau demeure assez floue et beaucoup d'éléments nous manquent. Notamment, rien ne nous permet de restituer l'emplacement des fontaines, car les fondations conservées sont trop peu élevées. Par ailleurs l'adduction des eaux est inconnue, bien que la logique soit d'imaginer une arrivée en droite ligne sur l'escalier central depuis les bassins des jardins hauts. Là, la canalisation se diviserait pour alimenter, à l'angle du mur d' échiffre, les fontaines de l'escalier et celles des balustrades. Une telle canalisation devait se situer relativement haut pour pourvoir en eau les premières marches d'escalier. Nous n'en n'avons pas retrouvé des vestiges puisque les jardins ont été surbaissés.
Quant aux conduites qui traversent le mur de la balustrade, elles semblent répondre davantage à l'évacuation d'un trop-plein d'eau, voire à un drainage du terrain. On en veut pour preuve leur position au pied de la fondation et l'ouverture du mur du côté des jardins hauts. Le maître Fontainier de Versailles semble confirmer cette interprétation.
Le problème des niches était crucial jusqu'au démontage de la balustrade actuelle. En effet, hormis les murs en arc de cercle au dos de la balustrade, la face ouest était plutôt rectiligne. La travée de la balustrade sud jouxtant l'escalier, montrait un massif en arc de cercle précédé d'une faible dépression contenant plus de mortier que de pierres. Mais ce phénomène se situe au même niveau que le ressaut, donc sous les pierres de soubassement. Par conséquent, la dépression pouvait correspondre à un blocage dans lequel venaient adhérer les pierres de soubassement.
Le démontage d'une travée de la balustrade du 20ème siècle a donc permis d'atteindre les têtes de murs du 17ème (fig. 4). On observe d'abord l'arc de cercle construit en briques cimentées par un mortier ocre. Contre, vient se plaquer en arc de cercle un blocage en mortier ocre et gris clair contenant des pierres de schiste. Au départ des arcs se trouvent, au nord, une pierre plus ou moins rectangulaire et, au sud, un angle en mortier. Enfin la face rectiligne du mur est réalisée dans un mortier gris verdâtre avec un parement en briques. Ces briques portent des traces de mortier ocre témoignant de leur réutilisation. Elles forment aussi un léger surplomb par rapport aux premières assises de fondation. Ce surplomb se trouve à peine à une vingtaine de cm des traces d'encrage des soubassements. En fait, ces briques sont venues combler les niches au 18ème siècle, lorsque la balustrade était encore partiellement visible comme l'atteste un plan de 1787.
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La balustrade nord
La balustrade nord présente 3 ressauts de fondation utilisant de manière anarchique tant la brique que le schiste (fig. 5). Le ressaut le plus bas n'est pas continu, il n'est aménagé que sur 8,40 m, côté pavillon chinois et sur 5 m, côté escalier.
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Ce ressaut est large de 30 cm et est à peine plus bas (l'épaisseur d'une brique) que le suivant. Le second ressaut est large de 30 cm et se situe à 25 cm sous le troisième. Tout comme au sud, c'est sur ce dernier ressaut large de 30 à 40 cm que se plaçait le soubassement.
Le mur de fondation de la balustrade se divise en assises de blocage en pierres et briques directement sur le ressaut et dans la partie supérieure, en assises en briques faisant un léger surplomb. Seuls les cavités d'ancrage des pierres de soubassement sont perceptibles, pas celles des cordons.
De même qu'au sud, le mur de balustrade est doublé à l'est, d'un mur en briques qui forme une canalisation. Toutefois, il n'existe plus de sol et des aménagements ultérieurs l'ont volontairement bouchée. En effet, on retrouve les massifs en arc de cercle arasés sur lesquels viennent se poser des massifs rectangulaires ou trapézoïdaux collés au mur en briques. Entre chaque massif et donc dans les parties rectilignes de la canalisation se trouve un blocage de chaux et briques supprimant ainsi la circulation des eaux. Par endroits, le mur en briques est partiellement détruit et les massifs rectangulaires s'appuient directement sur les assises restantes. Ces aménagements correspondent au comblement des niches opéré au 18ème siècle.
Ces massifs sont souvent en briques, rarement en pierres, qui semblent réutilisées car elles portent des traces de mortier ocre alors qu'elles sont cimentées par un mortier gris verdâtre. C'est ce même mortier qui est utilisé pour les assises en briques de la partie supérieure de la balustrade (cf. supra), qui, en outre, se trouvent au même niveau. Ces aménagements seraient du 18ème siècle et associés au remplacement de l'escalier.
Il n'y a pas de conduites creusées au travers du mur de la balustrade, ni de caniveau au pied de celui-ci. Par contre les ancrages des arcs-boutants sont encore visibles.
L'ESCALIER
De l'escalier du 17ème siècle, seule la moitié inférieure est préservée (fig. 6). Quatre degrés de 35 cm de large, mènent au plateau central circulaire (diam. de 2,80 m) et sont précédés d'un ressaut large de 65 cm.
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Les murs d'échiffre en briques ainsi que les marches disposées parallèlement à ceux-ci et ne participant pas à l'arc des autres marches sont probablement les seuls témoins du jeu des fontaines que les documents mentionnent comme autant de chutes que de marches (fig. 1). Sur le plateau central, des briques disposées en oblique par rapport au mur d'échiffre doivent correspondre au muret sur lequel les eaux issues des marches supérieures venaient buter pour changer de direction et dévaler les marches inférieures.
La partie supérieure de l'escalier du 17ème a disparu. On sait qu'au 18ème siècle les jardins avaient été surélevés et qu'un escalier droit avait été placé côté jardins hauts. De ce dernier il reste peu de témoins, mais quelques réaménagements peuvent lui être associés, notamment, la destruction partielle ou totale des 2 travées jouxtant l'escalier initial (fig. 6). En fait, la travée au sud est détruite jusqu'au ressaut, tandis que la travée nord a été en partie arasée et une nouvelle maçonnerie a été posée en léger retrait. Les deuxièmes pilastres depuis l'escalier ont été modifiés. Ils ont été élargis vers l'escalier par ajout de pierres de taille au niveau du soubassement et d'un massif en briques à assises régulières se distinguant par sa régularité et son collage au reste de la maçonnerie. Lorsqu'on reporte les limites de l'escalier du 18ème d'après un plan de 1787, elles arrivent juste à l'extrémité de ces pilastres modifiés.
Les éléments décoratifs
Peu d'informations sur l'aspect décoratif ont pu être perçues grâce aux fouilles. Quelques fragments de balustres ainsi qu'un chapiteau de piédestal ont été ramassés dans les remblais de destruction de la balustrade. Toutes ces pierres ont pu être reproduites. Aussi des coquilles d'huîtres ont été récoltées; le Père Charles parle de "coquillages et de ce que la mer fait de mieux" décorant les niches.
LE BASSIN
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Le bassin fut dégagé à environ 70 cm sous le sol actuel (fig. 7). Il s'inscrit dans un cercle de 13,50 m de diamètre. Sa forme de base est un carré de 5,85 m de côté, greffé sur ses côtés d'un arc de cercle de 1,25 m de rayon et aux angles d'une sorte de pince de crabe (ou pic tronqué). Le bassin est traversé par 2 drains parallèles (nord-est - sud-ouest), qui datent probablement du 18ème siècle. Le mur de margelle est conservé sur 4 à 5 assises de briques (25x10 cm); il est large de 30 cm. Le sol est constitué de petites briques étroites (18x8 cm) placées à plat sur une assise de briques et rares pierres de schiste (fig. 8).
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A chaque retour des pinces de crabe et du départ des arcs de cercle, se trouvent, au niveau du sol et en partie sous le muret, des dalles en pierre bleue.
Le bassin est entouré d'une couche d'argile verdâtre, large de 50 cm et aussi haute que le muret. Cette argile semble remplir une double fonction: d'abord imperméabiliser la fondation; ensuite, renforcer le muret face aux pressions de l'eau du bassin.
Au centre du bassin, peu d'éléments permettent de restituer la fontaine. A près de 40 cm plus bas que le sol du bassin, deux assises de briques forment un arrondi. De celui-ci, à l'ouest et à l'est, partent 1 à 2 briques qui donnent l'axe des canalisations qui devaient alimenter la fontaine et évacuer les eaux. Cette hypothèse est confirmée par une tranchée qui perturbe d'est en ouest le bassin. Cette tranchée correspondrait à l'enlèvement des tuyaux récupérés au 18ème siècle. Par ailleurs à l'extérieur du bassin au pied du muret, à l'est et dans le même axe, ont été découvertes des planches en bois qui pouvaient servir de base à la tuyauterie. A 2 m des planches, toujours dans le même axe, c'est un amas de schiste qui fut mis au jour. Les quelques traces d'oxydes de cuivre observées sur ces pierres, témoignent de l'existence de la canalisation.
A l'opposé, donc à l'ouest, au muret s'accote une chambre de visite aménagée de quelques assises de briques et d'un sol en briques. De cette chambre partent des buses en grès de Bouffioulx, qui semblent rejoindre une canalisation parallèle à l'étang du Moulin. Chaque buse fait 80 cm de long sur un diamètre de 10 cm. La pente calculée sur ces buses donne le sens de circulation des eaux, venant de la balustrade vers les étangs.
Dans chaque pince de crabe se distinguent des "A" souvent négatifs bien qu'une pierre de taille soit encore en place. Au dessus de chaque "A" se dessinent des arcs formant une ellipse. Le dallage en briquettes au sein de cette ellipse montre 3 alvéoles dirigées vers les "A". Au dessus de l'alvéole centrale, se pose une pierre rectangulaire dont le petit côté vers le "A" est concave. Ces aménagements font penser à une couronne surmontant le "A". Il s'agit de l'initiale des d'Arenberg avec la couronne ducale.
Les briquettes du fond du bassin sont recouvertes par endroits d'un mortier blanchâtre. Il pourrait s'agir d'un enduit pour imperméabiliser l'ensemble, mais également la base d'un revêtement en pierre, voire en marbre ou en coquillages (des fragments de marbre et des coquillages ont été recueillis dans les remblais). En outre, la légère surélévation des pierres de taille des initiales correspondrait à l'épaisseur de ces revêtements. Par ailleurs, la disposition des briquettes n'étant pas systématique, tout porte à croire qu'elles n'étaient pas visibles.
Les murets aussi présentaient un parement, plus épais probablement, que celui du sol. En effet, le long des murets, on constate une rangée de briquettes qui s'aligne sur les angles des dalles en pierre situées à l'intersection des pinces de crabe et des arcs (cf. supra). En outre, le mortier recouvrant le sol fait un bourrelet précisément à la jonction entre ces briquettes et celles formant le sol. Ce bourrelet paraît être le joint de la base du parement.