La restauration du Pavillon et du Parc baroque des Sept Etoiles à Enghien
ANDRÉ DUPONT et JEAN LOUIS VANDEN EYNDE, Architectes
ANNALES DU CERCLE ARCHEOLOGIQUE D'ENGHIEN, T. XXXIII, 1999, pp. 137-182.
(1) CHARLES DE BRUXELLES R.P. Briève description de la ville, chasteau et parc d'Enghien, ACAE, T.VIII, 1914-1922, pp. 103 à 127. (2) FREDEGAND D'ANVERS R.P. Etude sur le Père Charles de Bruxelles, frère mineur capucin (1593-1669). Paris-Rome 1919. (3) Duc d' ARENBERG: Le Père Charles de Bruxelles (Antoine d' Arenberg) Créateur du Parc d'Enghien. Archives et Centre culturel d' Arenberg Bruxelles 1996. (4) Y. DELANNOY: Contribution à l'histoire du Temple d'Hercule aujourd'hui, pavillon des Sept Etoiles, au parc d'Enghien. ACAE, t, XXlll, pp. 87-116; p. 88 (2) A Frère Macaire de Jérusalem, canne chaussé, pour le moddel en bois du cabinetz et quatorze colonnes des balustrades, le 9 avril (1660). Annexe II p. 112. Rapport et propositions de l'ingénieur J.A. COUSSIN. (5) J.-L. VAN BELLE. Dictionnaire des signes lapidaires. Belgique et Nord de la France Ciaco, Louvain-la-Neuve, 1994. Les contrats de fourniture de pierres par Cl. de la Lieu sont mentionnés par Y. DELANNOY dans l'article renseigné en (4) (6) Investigations préalables à la restauration du Pavillon des Sept Etoiles. Réalisées par l'entreprise DESCHUYTENEER de Marcq, comprenant le démontage-remontage de l'oculus faisant face au pont, démontage et réparation de la toiture à l'angle sud, terrassement du remblai dans le pont afin de vérifier le contenu de la cavité où se trouvait l'escalier, mars 1999. (7) Une comparaison entre les œuvres des graveurs Romain de Hooghe, ce mystérieux anonyme, Peter Schenk, Johannes Van Avele, Carl Remshard, et Jacques Harrewijn fait apparaître que seuls les deux premiers relatent des détails inédits qui laissent croire qu'ils sont venus sur place. Les autres copient, simplifient. et sont donc moins fiables. Le Père Charles termine sa description en écrivant: je prends à mon secours les tailles douces que j'ay joinct à ceste description, qui animeront mes paroles et suppléront à mes défauts. On peut raisonnablement émettre l'hypothèse que les gravures qui accompagnent son texte, sont celles du graveur anonyme parce que le carnet et les gravures ont le même format, et que les points de vue des représentations peuvent être mis en étroite relation avec le texte.D'autre part, Nicolas Visscher publie une série de gravures de Romain de Hooghe en 1685, date indiquée sur la gravure D en indiquant au bas de la gravure A qui suis sumptibus haec primo in lucem edidit. Il écrit dans sa description: Et comme personne n'a encore entrepris de le représenter je me suis semi porté avec le secours de ce fameux graveur Romein de Hooghe à donner ces tailles douces au public.
Ceci pourrait vouloir dire qu'en 1666, les gravures dont parle le Père Charles sont les premières à avoir été publiées et qu'elles seraient de la main de Romain de Hooghe. Le style du graveur anonyme et de Romain de Hooghe est très semblable sinon identique. En 1685, après le décès du Père Charles, Nicolas Visscher aurait à nouveau utilisé les services de Romain de Hooghe à son propre compte. (8) Christine BERTRAND, Investigations préalables à la restauration du Pavillon des Sept Etoiles. Etude des couches picturales situées sur les éléments architecturaux en pierre du Pavillon des Sept Etoiles à Enghien. Rapport d'expertise du 6 avril 1999. Louvain-la-Neuve. (9) Plans du parc d'Enghien portant l'inscription manuelle en surcharge: après 1660. AGR. Fonds d' Arenberg. Cartes et plans n° 105²9. (10} Charles-Marie-Raimond d' ARENBERG. Histoire de la terre, pairie et seigneurie d'Enghien (entre 1772 et 1778). ACAE, T. VIII, 1914-1922, pp.1-91. (11) Basile VALENTIN : Azoth. Paris 1624.
Nous vous avons assés parlé du Temple d'Hercule pour vous donner l'envye de le voir; aussy est-ce la plus grande et la plus royale pièce que vous puissiés imaginer: Nous y pourrions aller par l'allée des Tillots comme le plus court chemin, mais l'entrée en est plus agréable par celle des Faux, reprenons-la donc soit entre deux rangs d'arbres reliés d'une haye d'espine, soit par les belles allées qui la bornent, et nous aborderons des petits bois remplis de rossignols qui charment les passans, mais il ne nous y faut pas encore arester; ains suivre nostre allée jusques à l'entrée d'un grand cercle qui forme le milieu d'une grande estoile;
Ceste estoile est si merveilleuse en touttes ses parties que je ne scay par où commencer son éloge, ce sera par le centre pour delà passer à la circonférence (1).
Le Père capucin Charles de Bruxelles, né Antoine d' Arenberg (2), termine sa Briève description du parc d'Enghien par ce qu'il considère comme son chef-d'œuvre : le pavillon et le parc appelés aujourd'hui des Sept Etoiles.
Un témoin contemporain de l'œuvre, le comte Alexandre Segni écrit le dimanche 13 juin 1666:
Un capucin, oncle paternel du duc qui a résidé longtemps en Italie est le directeur et l'architecte de toute l'œuvre de ce jardin et de ce parc qui certainement est d'un effet délicieux (3). Il est fort probable que les charges du Père Charles l'aient obligé à confier la réalisation d'une maquette en bois et la surveillance de l'exécution des travaux à d'autres religieux résidant à Enghien (4).
Située au point le plus élevé du parc, la composition s'étend à un grand heptagone de 124 mètres de rayon. Les angles sont ponctués de sept socles de statues disparues et le centre est constitué par le pavillon, entouré d'un bassin circulaire et d'un rondeau. Un réseau d'allées rayonnantes et concentriques doublées de fossés de drainage déterminent des compartiments triangulaires ou trapézoïdaux. Ce sont ces éléments qui nous sont parvenus du projet conçu vers 1656 et décrit comme achevé par le Père Charles de Bruxelles en 1665.
Pour tenter d'imaginer ce qu'était le Parc, nous pouvons nous aider de deux textes et de plusieurs séries de gravures, facilement accessibles puisque reproduites dans les Annales du Cercle archéologique d'Enghien. Il s'agit d'un guide du visiteur en quelque sorte, écrit vers 1665 par l'auteur de projet lui-même, qui devait s'accompagner d'une série de gravures (1). D'autre part, Nicolas Visscher publie à Amsterdam en 1685 une série de 17 gravures de Romain de Hooghe et un texte descriptif. Ces documents sont tellement extraordinaires qu'ils ont longtemps été mis en doute.
Abordant successivement chacune des parties, pavillon, pont, bassin, rondeau, bois et bastions, nous allons étudier les sources textuelles et iconographiques, archéologiques ou monumentales, et enfin, contextuelles. Les premières visent les archives sous forme de texte, descriptions, correspondance, comptes de travaux, représentations sous forme de croquis, gravures, peintures.
La source archéologique est l'observation du monument dans son état actuel. La source contextuelle contient toutes les références que le concepteur a pu utiliser: textes de la mythologie, classiques de l'architecture, œuvres antérieures qui auraient pu l'influencer, recherches contemporaines dans d'autres disciplines pouvant avoir une relation avec le projet. C'est de la confrontation de ces différentes sources que naîtra une bonne connaissance de la conception initiale et de sa lente évolution jusqu'à nos jours.
Pourquoi ce nom des Sept Etoiles s'est-il substitué à l'appellation Temple d'Hercule, quelle est la part de vérité des documents iconographiques, quelle est l'évolution du monument et de son site depuis la seconde moitié du XVIIème siècle, quel parti en tirer dans le cadre d'un projet de restauration? Ce sont les questions de départ de cette étude, questions qui en ont suscité d'autres, peut-être plus que de réponses.
LE PAVILLON ET LE PONT.
Le plan du pavillon est un heptagone parfait : Les côtés coïncident avec l'axe des colonnes et des balustrades. Il s'inscrit dans un cercle de quatre mètres treize soit quinze pieds de Bruxelles de 27.57cm. Ce module a déjà été mis en évidence dans le tracé du jardin des Fleurs et dans le Portail des Esclaves du même auteur.
Le soubassement, d'une hauteur de huit pieds, est légèrement taluté. L'appui des quatorze colonnes est marqué par quatorze pilastres. Toutes les pierres sont marquées d'un losange contenant une croix suivant les diagonales, signe de Clément de la Lieu, tailleur de pierre à Ecaussinnes (5) (Fig. 1).
Chaque façade est constituée d'un arc en plein cintre dont la clé et quatre claveaux sont saillants. Cette alternance de claveaux en relief est baroque. Les arcs reposent sur deux colonnes toscanes dont la section la plus faible, sous le chapiteau, est de un pied. Il faut se rendre compte que l'énorme masse de l'entablement et de la toiture repose sur une section totale de 0,84 m2 de pierre.
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Techniquement, la maîtrise de la résultante des arcs est une prouesse. Les arcs ont tendance à repousser leurs appuis. Le plan polygonal fait que les forces résultantes ne trouvent aucune contre-poussée pour les maintenir: pas d'arc boutant ou de contrefort, pas de tirant métallique reliant les pieds des arcs. Ce n'est pas la masse de pierre des écoinçons ou de l'entablement qui parviendrait à redresser la résultante des forces obliques dans l'axe des colonnes. Ce bâtiment ne peut, apparemment, tenir debout.
La solution se trouve dissimulée dans le comble (Fig. 2): à chaque angle intérieur de l'heptagone, au dessus du plafond en coupole, une hampe métallique de 70 X 50 mm de section plonge depuis le niveau de la toiture jusque sur le chapiteau. Des agrafes et scellements solidarisent les blocs de pierre à cette hampe. Si les pierres étaient animées d'un mouvement vers l'extérieur, elles entraîneraient forcément la hampe. Au sommet de l'arc en plein cintre de la façade et immédiatement sous le chevronnage de la toiture, des tirants relient chaque hampe et forment une ceinture périmétrique à l'intérieur du bâtiment.
A mi-hauteur de la hampe, les sommiers horizontaux situés au dessus de la voûte constituent un point d'appui: si les pieds des voûtes s'écartaient sous la pression des arcs, la hampe serait retenue à mi hauteur par le tirant périmétrique et le sommet de la hampe s'inclinerait vers l'intérieur du bâtiment. Ce sont les chevrons de toiture correspondant aux bissectrices des angles de l'heptagone qui offrent la réaction au mouvement des pierres des arcs. C'est à juste titre que le Père Charles met en valeur cette solution technique:
Ce quy rend ce Temple plus merveilleux est, que quoy que ce soit une grande machine, elle parait néantmoins comme si elle estait taillée toutte d'une pièce hors d'un rocher; les pierres sont si grandes et si bien ajustées qu'il n'y paroit presque aucune joincture et l'on n'y voit aucun bois ou fer qui les lie, de sorte que l'on le jugerait plustost un enchantement qu'un prodige de l'esprit humain. (1)
Toutefois, ce système sera consolidé en 1823, sur le conseil de l'ingénieur I.A. Coussin de Bruxelles, en raison de la dégradation de la toiture, de la corrosion des éléments métalliques et de l'éclatement de certaines pierres (4).
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La juxtaposition de ces sept façades identiques que l'on pourrait assimiler à des serliennes, engendre à chaque angle un dédoublement de colonnes. La qualité du plan polygonal à nombre impair de côtés est que, lorsque vous vous placez dans l'axe d'une façade, vous bénéficiez d'un arrière plan fermé par une paire de colonnes. Et lorsque vous faites face à un angle, vous découvrez en fond l'arc de la façade opposée. Cette alternance ouvert-fermé est, architecturalement parlant, d'une très grande force. Nous en reparlerons à propos du tracé des chemins rayonnants.
L'entablement est percé sur chaque face d'un oculus ovale épaulé par deux volutes, caractéristiques de la modénature baroque. De récentes investigations préalables au projet de restauration se sont intéressées à l'oculus situé face au pont (6). Les volutes et la taille des pierres sont sensiblement différents. On a constaté que cette façade était initialement percée d'une porte en plein cintre de 89 cm de largeur, de 116 cm de hauteur à la base de l'arc et de 160 cm sous clé. C'est bien ce que les gravures de Romain de Hooghe et celles du graveur anonyme renseignent (7). Nous y reviendrons lors de l'étude de l'accès au belvédère (Fig. 3).
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L'élévation se termine aujourd'hui par une corniche en bois et une toiture en pyramide inversée qui ramène les eaux au centre du bâtiment. L'étanchéité était probablement en plomb à l'origine, puis en cuivre rouge importé d'Angleterre en 1823. Actuellement, il ne subsiste plus qu'un feutre bitumineux en mauvais état. Cette forme en creux est nécessaire à la mécanique expliquée plus haut mais pose un problème lors de l'obstruction de l'unique évacuation en raison des feuilles et des pigeons morts: l'eau remplit le creux et finit par déborder par la trappe d'accès du comble à la toiture. Ce défaut a occasionné la perte du plafond en coupole, des nervures et de la clé soulignées autrefois par des moulures. Cette coupole est entièrement réalisée en plâtre sur une forme de charpenterie cintrée. L'Institut Royal du Patrimoine Artistique a fait réaliser des prises de vue photographiques avant 1940 où l'on distingue un graphisme foncé des moulures se détachant sur la coupole claire.
Quant à la balustrade fermant le belvédère, elle était composée de piliers aux angles dont on ne sait s'ils étaient dédoublés comme les bases de colonnes. Ils étaient surmontés de lions issants présentant les blasons du Maître de l'Ouvrage, Philippe-François d' Arenberg (1625-1674). Entre ces piliers, on peut imaginer des balustres identiques à ceux du rez-de-chaussée. Les sondages réalisés à l'emplacement de la balustrade n'ont pas permis d'en préciser l'implantation. C'est pour soulager les colonnes que l'ingénieur Coussin fit démonter les lions, les piliers et la balustrade en 1823 (4).
C'est également à ce moment que les pierres fissurées ont été réparées au moyen d'agrafes métalliques scellées au plomb. Ces agrafes ont été soigneusement enduites et un badigeon de chaux en deux teintes a achevé de masquer fissures et réparations. On distingue encore la bichromie de gris clair et de gris foncé depuis le pied des quatorze colonnes jusqu'à la corniche en bois. La première couche de peinture, couche de préparation jaune, couvre les réparations de pierre et ne peut donc être antérieure à 1823 (8). Il sera nécessaire de restaurer cet enduit et ses teintes pour conserver l'homogénéité des parements.
LE PONT.
Le terme Pont est impropre. Il s'agit d'une maçonnerie pleine qui reprend la même élévation que la digue du bassin, renforcée par des pilastres évasés au droit de chaque dé de balustrade. Le raccord entre cette digue et le pavillon se fait par l'intermédiaire de quatre marches qui reposent sur un arc assymétrique qui peut donner l'illusion d'un pont. L'arc est actuellement masqué par un bouchon de petites briques. A cet endroit se trouvent actuellement deux sphinges classiques en pierre de France, aux traits de Madame de Pompadour et de Madame du Barry. Leur support a été modifié, le dé de balustrade, carré au départ, a été dédoublé.
Dans l'enmarchement, on remarque un joint oblique continu de part et d'autre du passage. A cet endroit se trouvaient initialement deux statues, de Neptune et d'un dieu Fleuve à moitié couchés sur un vase d'où s'échappait un jet d'eau. Les récents sondages et une visite sous l'arc soutenant les marches révèlent la présence de canalisations en plomb de diamètre extérieur de 48 mm, se divisant pour approvisionner les statues en eau. Toutefois, ces tuyaux sous pression pourraient être contemporains d'un château d'eau construit au XVIIIème siècle le long de l'allée des Erables menant au grand Canal, à l'ouest du Pavillon.
Les gravures représentent ces statues et l' enmarchement.
Le mur de la digue que nous connaissons plein, est représenté comme un pont de quatre arches. L'homogénéité des marques de Clément de la Lieu sur toutes les pierres de la digue contredit formellement cette représentation de pont.
Les gravures E et F de Romain de Hooghe détaillent le Pavillon. La première est une vue dans l'axe de l'allée des Tilleuls qui mène au château et à la Ville (Fig. 3). La seconde semble être prise à partir de l'allée des Frênes qui rejoint la chaussée de Bruxelles au Nord (Fig. 4) Le pavillon n'est pas représenté sur l'axe de l'allée, ce qui engendre quelques distorsions perspectives.
Le pont est divisé en quatre travées alors qu'il n'en compte que trois dans la réalité.
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Les dieux fleuves sont couchés sur les marches qui donnent accès au Temple d'Hercule, appelé en légende le Grand Pavillon. Au dessus de l'arcade, une baie en plein cintre est occupée par Bacchus sur son tonneau. A l'entrée du pont, un homme s'affaire à relever des tôles couvrant la moitié de la largeur du tablier, découvrant ainsi les premières marches d'un escalier. L'existence de cet escalier a été prouvée par Y.Delannoy (4) par la présence dans les comptes du domaine de dépenses pour l'entretien du mécanisme.
Le Père Charles de Bruxelles écrit (1):
Il me semble vous voir plaindre ou blasmer la faute de l'architecte qui n'a joinct à ceste structure un escallier pour monter à ceste terrasse et y jouyr en un moment non seulement de la veue de tout le parc, mais encore de la beauté de tout le pays quy l'environne. Je ne désavoue pas vostre pensée, puisqu'elle est commune à tous ceux quy voyent ce beau lieu, quo y qu'ils l'excusent, considérant que rien ne se pouvait adjouter à ceste œuvre sans en dérégler la cimétrie.
Néantmoins prenés la paine ou plustost le divertissement de vous promener dans l'un de ces petits bois qui environnent ce Temple et vous n'aurez pas traversé deux ou trois de ces allées qu'à vostre retour vous trouverés un degré de 35 marches d'une largeur suffisante pour y monter en compagnie; il est bordé d'une balustrade, craignant que sa hauteur ne vous effraye. Quant vous arriverés en haut, vous y trouverés une porte en forme de niche avecq une très belle statue qui aura assés de civilité de se retirer pour vous en permettre l'entrée, et vous donner par un second escalier l'accès à la terrasse ou platte forme.
Vous vous estonnerez comme la grande et haute machine de ce degré qui pèse plus de dix mille livres peut estre dressée en si peu de temps, mais si vous allés vous divertir derechef dans un autre de ces petits bois, vous serés ravis à vostre retour de la voir esvanoye sans en laisser aucun sien vestige, mais beaucoup plus quand je vous diray que deux hommes gouvernent ceste grande machine et la dressent et l'ostent en moins d'un miserere.
Cette description doit être mise en rapport au commentaire de la gravure E par Nicolas Visscher:
A l'entrée de ce pavillon, on voit deux belles ftatües d'une groffeur au deffus de l'ordinaire, où l'art a déployé tout ce qu'il a de plus fin auffi bien que dans celles de l 'Arc de triomphe. On y entre par un pont-levis fort large, bordé d'un balustre de pierre: quand on l'a levé, on voit une montée de bois avec des barrières aux deux côtez; fi longue que fans l'aide d'aucune terrasse, elle s'élève auffi haut que l'image de Bacchus, & si large que quatre hommes y peuvent paffer de front. Cependant quelque pesante que soit cette machine, deux hommes la soulèvent en un instant, à l'aide d'un contrepoids, jusques à la hauteur de cette image de Bacchus, qui eft représenté fur une porte par laquelle on entre sur ce toit en plate-forme, d'où l'on découvre tout le parc & les campagnes voisines & l'on jouit ainfi d'une des plus belles vües du monde.
En observant le tablier du pont, on remarque un trottoir en grandes pierres munies d'une rigole de part et d'autre d'un appareillage de briques noires disposées en chevron. Sur la face supérieure des pierres, des anneaux scellés au plomb recevaient soit les gonds des tôles mobiles, soit une tige de fixation des tôles en position ouverte. Sur le trottoir Est, un bouchon de pierre et deux scellements en plomb localisent l'engagement probable d'une manivelle.
Le mouvement de rotation dans un plan horizontal devait se transmettre à un axe transversal. Soit par un système d'enroulement d'une corde et de treuils entraînant le pied de l'escalier, soit par une vis sans fin forçant le pied de l'escalier à se rapprocher du pavillon, le mouvement de relèvement de la tête de l'escalier pour atteindre l'oculus ne pouvait être acquis que par un pantographe ou par une contrefiche mobile. Un essai de reconstitution du mécanisme est à l'étude. Les investigations préalables ont mis à jour un réseau de drainage postérieur à l'abandon de l'escalier, des tuyaux de plomb et des scellements métalliques au fond d'une cavité de 43 centimètres. Leur interprétation n'est pas chose aisée.
En tout état de cause, cet escalier permettait de franchir une dénivellation de 7,15 mètres par trente cinq marches de 20,43 centimètres. La statue de Bacchus était fort probablement un haut relief en plâtre sur une ossature de bois solidaire d'une porte sur gonds.
Dans le comble du pavillon, entre la coupole de plâtre et le plancher de toiture, une petite échelle donne accès à la toiture par une trappe. Cette échelle et la toiture sont postérieures à la disparition de la balustrade en 1823.
Le spectacle du tracé du parc à partir du belvédère est remarquable quoique la hauteur actuelle des arbres ne permette plus de découvrir l'horizon à 360 degrés.
La présence confirmée de Bacchus ne permet pas de placer dans les six oculi restant le programme iconographique des Sept Sages ou Philosophes de l'Antiquité. Le Père Charles parle de belles niches en aval dans lesqueles vous voyés des bustes ou demy-corps des plus rares que l'antiquité produit. Les listes de statues du XVIIIème siècle parlent de bustes sans en donner l'identité. L'ornement des Sept Sages est donc postérieur à la suppression de Bacchus et de l'escalier mobile.
LE BASSIN.
Le mur du bassin est sommé de vingt huit pilastres encadrant le départ de chaque allée. Ils définissent, outre le pont, vingt-sept travées de longueur inégale sur un plan circulaire de vingt mètres soixante-huit de rayon dans l'axe de la balustrade.
Le Père Charles écrit que des jets d'eau s'échappent de ces dés au nombre de 34, soit 28 au pourtours et six sur le pont mais il indique en marge Ces jex d'eau ny sont encores. Le démontage d'un dé et de son soubassement révèle l'absence totale de tuyauterie. Il donne au bassin un diamètre de 150 pieds, ce qui reste parfait vis-à-vis du module de 27,57 cm. énoncé plus haut. Quatre assises d'un pied de haut sont surmontées d'une plate-bande saillante et de la pièce d'appui de la balustrade. L'ensemble forme huit pieds de haut. Seuls subsistent les pilastres et deux travées de balustres. Une photographie de l'IRPA montre la balustrade intacte jusqu'à la seconde guerre mondiale. De source orale, il apparaît qu'à la Libération, le charroi des troupes alliées et quelques Enghiennois ont renversé ce délicat et coûteux ouvrage de pierre. Les bustes en plâtre ornant les oculi ont été pris pour cible par les soldats. Les nombreux impacts relevés sur la partie haute du pavillon rendent ce témoignage avéré.
Le fond du bassin est entièrement recouvert de grandes dalles de pierre bleue. Dans le cadre de la restauration d'une partie du mur du bassin suite à la chute d'un hêtre renversé par le vent en janvier 1991, nous avons essayé de mettre le bassin à sec. Une canalisation en plomb située au fond du bassin du côté Ouest et une vanne en bronze permettent la vidange. Cette vanne est un cône troué horizontalement dans un sens et muni d'un anneau en partie supérieure. Par rotation, on ouvre la vanne en plaçant le trou dans le prolongement du tuyau en plomb. Ces ouvrages pourraient être du XVIlème siècle. Après un mois d'écoulement permanent, le bassin n'était pas complètement vide. Il faut conclure à la résurgence de sources, paradoxalement au point le plus élevé du Parc.
La présence de cette masse d'eau, située quelques douze mètres plus haut que les jardins clos, et acheminée par des tuyaux en plomb, permet son utilisation tant sous la forme de jets d'eau jaillissants que sous la forme d'énergie pour actionner les automates et autres instruments de musique. Au cours du temps, l'abaissement chronique des nappes phréatiques et la multiplication des jeux d'eau ont nécessité le recours à l’ingénieurie hydraulique: en 1673, on creuse l'étang Munoz à l'Est du parc, sous la direction du chanoine Munoz, de Mons. Situé à un niveau moindre que le bassin des Sept Etoiles, il ne pouvait alimenter que les jardins clos. Vers 1750, on établit un château d'eau à l'Ouest du bois des Sept Etoiles. Un fossé de réception des eaux de drainage y subsiste encore. Une machine du type vis sans fin élevait l'eau jusqu'à un réservoir. Enfin, des moulins établis sur le grand canal ou sur l'Odru hissaient l'eau jusqu'au château d'eau ou au bassin.
Certaines gravures surmontent le Pavillon des Sept Etoiles d'un jet d'eau (Fig. 5). C'est le cas pour Romain de Hooghe dans sa gravure D au travers du Portail des Esclaves et pour le graveur anonyme suivant le même point de vue. Il est difficile d'imaginer qu'une canalisation en plomb passe par une des colonnes. De plus, on voit mal comment obtenir une pression suffisante pour obtenir un jet d'eau significatif. Le Père Charles parle d'une statue: Au centre de ceste terrasse ouy de toutte l'estoile est la statue d'Hercule du palais de Farnèse, à Rome, de 15 pieds de hauteur: La structure en charpenterie de la toiture du pavillon ne permettrait pas d'y dresser pareille masse.
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Outre l'agrément de la fraîcheur et des poissons multicolores, l'eau a encore un rôle acoustique remarquable: Par la combinaison du plafond en dôme du pavillon et du plan d'eau qui forme réflecteur, le son émis par un instrument de musique au centre du bâtiment est renvoyé identiquement dans toutes les directions.
LE RONDEAU.
Étymologiquement, le rondeau porte le nom d'un bassin circulaire, rond d'eau. Par extension, il vise également le chemin qui l'entoure. La couronne entourant le bassin est l'aboutissement des sept grandes allées et de sept plus petites situées dans l'axe des angles du pavillon.
A la circonférence, devant une haute palissade d'ifs, prennent place quatorze gaines surmontées d'un buste, escortées chacune de deux bancs. La naissance des petites allées est commandée par une baie en plein cintre taillée dans la palissade circulaire tandis que de larges interruptions dégagent la perspective des grandes drèves. Sur les gaines, aussi appelées termes, se dressaient, au dire du Père Charles, les bustes des quatorze empereurs de la maison d'Autriche dont nous n'avons aucune trace. C'est au baron François Empain que l'on doit la présence des bustes en bronze de Jules César, Philippe le Bon, Henri IV, Napoléon Bonaparte, Léopold II, Musset, Montaigne, Pascal, Descartes. Il subsiste un buste féminin sans attribut particulier qui pourrait être antérieur à cette série incomplète.
De part et d'autre de ces éléments verticaux étaient disposés des bancs en pierre. Les piètements sont superbes, finement taillés et ornés de trois rainures avec baguettes. Ils portent également la marque de Clément de la Lieu. Certains ont été déplacés dans le parc, d'autres ont été remplacés par des moulages en béton, d'autres enfin ont disparu. A Heverlee, dans la cour du Château d' Arenberg, on trouve les mêmes bancs et les mêmes marques. Ceci laisse supposer que, lors du départ de la famille d' Arenberg en 1903, le déménagement s'est étendu jusqu'aux socles de la statuaire.
Ces gaines et ces bancs doivent se détacher sur un fond sombre, acquis grâce à la plantation d'une haie d'ifs. C'est un compte de 1659 qui renseigne la plantation d'une haie d'espine au rondeau, alors que les autres haies sont de charmes.
L'avantage est de conserver une densité et une couleur constante tout au long de l'année. De plus, les gravures montrent une corniche taillée dans la végétation ce qui est plus aisé dans l'if que dans le charme.
LES CHEMINS.
Vous êtes arrivés au pavillon par une de ces allées magnifiques, bordées de hêtres ou de chênes plantés vers 1925 par le baron François Empain. Vous aurez constaté que ces alignements devenaient peu à peu irréguliers, les arbres disparaissant par maladie ou par grand vent. Il faut dire que la nature très argileuse et compacte du terrain et la densité de plantation n'ont pas permis un enracinement proportionnel à la hauteur de ces géants de trente-cinq mètres.
En février 1990 et 1991, des tempêtes violentes ont précipité à terre une centaine de ces hêtres dans le parc des Sept Etoiles. L'un d'eux s'est abattu dans le bassin et a arraché du bout de ses branches la corniche en bois du pavillon. Il aurait été plus haut d'un mètre et le pavillon aurait été poussé dans le bassin ... Par mesure de protection d'urgence, l' Administration communale a fait abattre tous les hêtres situés à moins de trente mètres du bassin soit environ septante sujets.
Dans les allées, la politique de maintenance admise depuis de longues années était de remplacer chaque arbre disparu par un arbuste de même essence à l'endroit de la souche enlevée. Ces baliveaux étaient replantés dans une terre déjà encombrée par les racines de l'arbre précédent. Ils devaient croître sous le couvert végétal des grands arbres subsistants. Il en résulte bien vite une hétérogénéité difficile à admettre dans ces alignements monumentaux.
La question qui nous était posée, semblait relever plus de la gestion forestière que de la restauration architecturale, mais nous étions déjà en charge de la restauration du pavillon et du bassin. Un choix devait être opéré: fallait-il continuer à remplacer ponctuellement les arbres malades, tombés ou dangereux, ou fallait-il se réinscrire dans un rythme séculaire de replantation complète? Pour obtenir un résultat monumental, cette seconde option a été retenue, étant entendu qu'elle se limitait au périmètre heptagonal du bois des Sept Etoiles.
Un programme de gestion et de replantation à long terme est à l'étude pour l'ensemble du parc, renouant avec une tradition de replantation dans un cycle séculaire.
Les gravures renseignent dans leur légende le nom des allées: Allée des Tillets, Tillots, Tillaux ou Tilleuls en direction de la Ville, des Frênes vers la Chaussée de Bruxelles au Nord, des Faus ou Hêtres vers la Chaussée Brunehault, des Chênes vers le Château de Warelles, des Bouleaux vers la Ferme, de Peupliers blancs vers le Mail, et des Ormeaux ou Ormes vers le Grand Canal. Les essences renseignées par le Père Charles sont légèrement différentes pour le même ordre horlogique: Tilleuls, Hêtres, Frênes, Châtaigniers, Chênes, Ormes, Erables sycomores. Cette seconde liste semble plus homogène du point de vue du port des arbres et de leur longévité. Toutefois l'orme, victime de la graphiose, champignon s'introduisant entre l'aubier et l'écorce, a pratiquement disparu de notre région. Il était donc risqué d'en replanter et c'est le Noyer noir d'Amérique qui a été adopté en substitution pour la qualité de sa silhouette.
En arrivant au Pavillon, on ne peut encore imaginer cette convergence de sept grandes allées en un point. Lorsqu'on arrive au centre, c'est une expérience spatiale extraordinaire que de découvrir l'horizon face aux sept arcades. Puis on découvre l'alternance de ces drèves infinies avec de plus petits chemins qui s'achèvent après 124 mètres sur un socle de maçonnerie.
Au périmètre extérieur, un chemin relie les sept socles et décrit un très grand heptagone. C'est la limite du projet actuel.
Un second anneau concentrique plus petit recoupe les quatorze allées. Le carrefour des petites allées avec cet anneau est circulaire. Suivant le Père Charles, au centre de chasque bois il y a une fonteine, vous y pouvés prendre le frais et y entretenir vos pensées. Des sondages réalisés en deux endroits en 1995 par le Service des Fouilles de l' Administration du Patrimoine de la Région wallonne n'ont décelé le moindre indice de l'existence de ces fontaines.
Tous ces chemins sont bordés d'une palissade de charmes.
Les plans du parc de 1660 (9) (Fig. 6) à 1750 montrent un savant compartimentage des sept secteurs compris entre les grandes allées.
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On pourrait y voir une représentation symbolique des sept étoiles. Les plans gravés (Fig. 7) et les vues cavalières de l'ensemble du parc de Romain de Hooghe par exemple montrent les quatorze allées rayonnantes, un périmètre heptagonal et deux chemins circulaires concentriques. Ce découpage en petits jardins trapézoïdaux est souligné par des haies de charmes percées de portes en plein cintre, symbolisées en plan par des petits arcs. Une très grande vue panoramique et cavalière réalisée par Romain de Hooghe (114 x 48 cm) représente dans un des compartiments des gens qui tendent une toile sous un arbre. On peut en conclure qu'ils récoltent les fruits et que les compartiments sont des vergers. Si on imagine que les portes sont reliées par des chemins qui traversent les bosquets suivant les médianes et les diagonales, on pourrait retrouver un graphisme proche de celui du plan de 1660.
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Ce tracé remarquable a été publié en 1776 à Paris, dans un ouvrage de Georges Louis Lerouge, intitulé Détail des nouveaux jardins à la mode ou Jardins Anglo-chinois à la mode (Fig. 8). On remarque un labyrinthe organisé autour d'une spirale au delà du périmètre de la composition des sept Etoiles. La forme trapézoïdale, quoique inversée par la gravure, correspond exactement au compartiment délimité par les allées à l'Ouest, voisin du mont Parnasse. Le centre de ce labyrinthe était encore perceptible en 1987, par la présence de charmes devenus arborescents et de souches disposés en cercle. Il est étonnant que ce tracé n'apparaisse dans aucune représentation contenue dans les cartes et plans du Fonds d' Arenberg conservé aux Archives Générales du Royaume. Un labyrinthe identique existe en Espagne aux jardins de la Granja de San Ildefonso à Ségovie.
En 1772, afin de vaincre l'humidité du site dommageable aux plantations, le jardinier Dominique Mussche fait remblayer les chemins et creuser des fossés de drainage (10). Le graphisme des bosquets a disparu au profit d'un simple chemin circulaire, présent jusqu'en 1998. Chaque carrefour s'est vu encadré d'ifs qu'on retrouve ponctuellement aujourd'hui.
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LES BASTIONS.
Aux sommets du grand heptagone inscrit dans un cercle de 124 mètres de rayon, dans l'axe des petits chemins issus des paires de colonne des angles du bâtiment se dressent des socles de maçonnerie, soit tout en pierre, soit en pierre et en brique. Leur hauteur est moindre lorsqu'ils s'établissent sur terrain relativement plat. Les massifs les plus hauts se trouvent du côté de la ville, là où le terrain naturel les situe à cinq mètres en contrebas du rondeau. Certains chemins s'étendent au delà de ces bornes monumentales: vers le Mont Parnasse, vers le Labyrinthe disparu et vers le château Empain.
Nous ne disposons pas d'inventaire des statues avant 1770.
A cette époque, il ne reste que Neptune et le dieu Fleuve sur le pont du pavillon, deux bustes et quatre statues : Hercule tenant le petit Apollon, Diane et Vénus, et un second Hercule en plomb. Les listes suivantes témoignent de la grande mobilité des statues dans le parc: les gaines ont été déplacées à l'arrière de l'orangerie, Vénus et Hercule tenant Apollon se sont retrouvés du côté de la Chapelle.
Le nom des Sept Etoiles, le chiffre 7 et la présence d'Apollon, de Diane et de Vénus font penser aux sept planètes visibles à l'œil nu connues au début du XVIIème siècle. Dès l'antiquité romaine, les planètes et leur divinité ont donné leur nom aux jours de la semaine et ont été associées chacune à un métal:
- Lundi, lunedi, monday; la Lune, satellite de la terre; Diane, chasseresse, divinité de la nature; un croissant dans les cheveux; l'argent;
- Mardi, martedi; Mars, première planète supérieure; Mars, dieu de la guerre; le fer;
- Mercredi; Mercure, première planète inférieure; Mercure, messager des dieux, dieu du commerce et des voleurs; le mercure;
- Jeudi, giovedi; Jupiter, seconde planète supérieure; Jupiter, dieu souverain du ciel et du monde; l'étain;
- Vendredi, venerdi; Vénus, seconde planète inférieure; Vénus, déesse de l'amour; le cuivre;
- Samedi, saturday; Saturne, troisième planète supérieure; Saturne, symbole du temps; le plomb;
- Dimanche, sunday; Soleil; Apollon, dieu du jour, de la poésie, de la musique, des arts; l'or.
Cette illustration cosmologique tient compte d'une vision géocentrique de l'univers: la terre en est absente puisqu'elle est le point de vue de la révolution des astres, le centre de l'univers.
Un dessin tiré du livre d'alchimie de Valentin Basile (11) (Fig. 9) reprend sous une forme graphique la même représentation mais héliocentrique de l'univers: un heptagone central figure dans ce cas le soleil, et sept branches triangulaires portent les signes de la terre et des six autres planètes. Les formules alchimiques utilisent un langage ésotérique où les métaux sont remplacés par leur symbole astronomique. Le résultat graphique se rapproche de façon troublante de notre sujet.
On peut donc émettre l'hypothèse que le programme iconographique prenant place sur les socles est astronomique, ce qui justifie pleinement l'appellation des Sept Étoiles. Ceci permet de mieux apprécier la gravure A de Romain de Hooghe: au centre, Mars en armes présente la couronne ducale. A sa droite, Apollon tenant le zodiaque semble montrer le pavillon à la muse de l'architecture qui tient un plan, devant Diane (Fig. 10).
L'explication de la figure A contient cette phrase ambiguë :
A la gauche de la façade, on voit la Peinture et l'Architecture représentées par une femme avec un jardinier; qui semblent prier Apollon et Diane d'entretenir & d'augmenter les beaute: de leur Parc, & ces Divinite: paroiffent leur accorder avec plaifir cette faveur & promettre de contribuer par tout ce qui dépend d'eux à rendre ce bel endroit plus délicieux et plus agréable.
COMPOSITON GENERALE.
Le relevé du site fait apparaître une composition géométrique remarquable et des relations harmoniques entre toutes les dimensions (Fig. 11). Le côté de l'heptagone est égal à la moitié de la base du triangle équilatéral inscrit dans le même cercle.
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En attribuant un chiffre de un à sept à chaque angle, ou à chaque socle en pierre du périmètre extérieur et en les reliant, on décrit un très grand heptagone inscrit dans un cercle de cent vingt-quatre mètres ou quatre cent cinquante pieds de rayon.
Si on trace une droite issue de chaque sommet et qui passe par le centre, elle rencontre le milieu du côté opposé. Nous venons de dessiner les sept petites allées, le centre et les sept grandes drèves qui existent encore.
Si on relie les sommets 1 à 3, 3 à 5, 5 à 7, 7 à 2, 2 à 4, 4 à 6, et 6 à 1, on revient à son point de départ en n'utilisant qu'une fois chaque sommet et en n'utilisant jamais deux fois la même ligne, et on décrit une étoile dont le noyau est un heptagone. On peut constater que les intersections de ces droites définissent la position des carrefours des petites allées avec le second chemin concentrique.
Si on relie les sommets 1 à 4, 4 à 7, 7 à 3, 3 à 6, 6 à 2, 2 à 5, et 5 à 1, on dessine à nouveau une étoile à sept branches plus effilées dont le noyau est toujours un heptagone. L'intersection de ces droites définit l'implantation de la palissade végétale extérieure du rondeau et la position de la balustrade circulaire du bassin.
En répétant l'opération à l'intérieur du bassin, on obtient l'heptagone central: le Pavillon des Sept Etoiles. Le rapport de ces heptagones inscrits les uns dans les autres est réglé par le rapport harmonique du nombre d'or.
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Voilà pourquoi le Père Charles de Bruxelles, auteur du projet, précise dans sa description:
Ce centre, non pas mathématique qui consiste en un point indivisible, mais pour mieux dire le milieu de ceste es toile ...
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Dans le projet de restauration, l'heptagone central du dallage du pavillon réalisé dans une matière quelconque sera remplacé par une lame de laiton sur laquelle sera gravé le tracé régulateur expliqué ci-dessus.
LA SIGNIFICATON PERDUE DU PAVILLON DES SEPT ETOILES.
En 1609, Galilée découvrait à l'aide d'une optique la présence d'autres planètes et le mouvement des planètes autours du soleil.
Il a dû abjurer de sa science devant le tribunal de l'Inquisition en 1633.
Le soleil se lève précisément à l'Est et se couche à l'Ouest, seulement aux équinoxes les 21 mars et 21 septembre environ. En été, il se lève au Nord-Est et se couche au Nord-Ouest. En hiver, il se lève au Sud-Est et se couche au Sud-Ouest, en raison de la non perpendicularité de l'axe de rotation de la terre sur elle-même par rapport au plan de l'écliptique, plan de rotation de la terre autour du soleil (Fig. 12).
A la moitié du jour, le soleil est au sommet de sa course quotidienne. Il se fait qu'à ce moment, il se situe dans le prolongement d'une petite allée. Son rayon passe entre le socle de deux colonnes, et projette une forme d'aiguille lumineuse sur le dallage. Lorsqu'il passe sur le joint radial du dallage en marbre, il est à peu près midi solaire. Notre pavillon est donc une horloge.
Il faut préciser que le sud solaire ne se situe pas en face du nord magnétique, et que le midi solaire n'est pas celui de votre montre. Il y a un décalage de quarante-quatre minutes par rapport au temps universel compté au méridien de Greenwich, et on constate un décalage de douze minutes par rapport au midi solaire vrai. Le souci d'exactitude très scientifique de notre temps doit s'accommoder de cette imprécision: dans une société sans horloge et reposant principalement sur l'agriculture, le cours des saisons et la commune mesure du temps n'étaient pas menacés par cette différence.
De plus, la hauteur du soleil sur l'horizon à midi varie: au solstice d'été, il est à 63° par rapport à l'horizontale, aux équinoxes à 39° et au solstice d'hivers à 16°. Le 21 décembre, le rayon de midi passe entre les socles des colonnes et vient désigner le centre géométrique de son doigt de feu. Notre pavillon est donc également un calendrier (Fig. 13).
Les 21 mars, juin et septembre, l'aiguille lumineuse n'indique pas de point particulier du dallage. A l'inverse, la rencontre du joint radial avec les joints concentriques renseignent des jours quelconques. Les archives mentionnent un renouvellement du dallage en 1804. Il figurait autrefois une étoile dont on peut croire que le graphisme indiquait également le solstice d'été et les équinoxes (Fig. 14 et 15).
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Enfin, à notre latitude, et seulement à notre latitude, le 21 décembre, le soleil parcourt entre son lever et son coucher 102°, soit 51° avant midi et 51° après midi. Or, si on divise une circonférence en sept parties égales, on obtient 51 degrés, 25 minutes. L'heptagone et ses petites allées rayonnantes, s'ils sont bien orientés, coïncident donc presque parfaitement avec la course du soleil le 21 décembre.
A notre latitude et au solstice d'hiver, le soleil se lève depuis 1660 au bout d'une petite allée, entre deux colonnes du pavillon, et se couche de même deux sommets plus loin. Il signifie donc le midi solaire tous les jours et le passage d'une année solaire à l'autre.
Le comput ou la règle de coïncidence entre les calendriers solaire et lunaire repose sur le rapport arithmétique entre les cycles de ces deux astres et celui de la terre. Celle-ci tourne sur elle-même en 24 heures. La lune exécute sa révolution autour de la terre en 29 jours, 12 heures et 44 minutes. Pour que les phases de la lune retombent aux mêmes dates, il faut 19 années. C'est le cycle lunaire déterminé par l'astronome grec Méton. La terre décrit une ellipse autour du soleil en 365 jours, 5 heures et 48 minutes. Les années bissextiles tentent d'harmoniser la journée terrestre avec l'année solaire. Pour retrouver les mêmes jours aux mêmes dates, il faut 28 années. C'est le cycle solaire. Enfin pour retrouver les mêmes jours aux mêmes dates, et aux mêmes phases de la lune, il faut 28 x 19 = 532 années.
Il faut connaître tout cela pour fixer la fête de Pâques, pivot des fêtes religieuses mobiles : elle intervient le premier dimanche qui suit la pleine lune qui succède à l'équinoxe de printemps. Le calendrier repose donc sur les chiffres 4, années bissextiles, 7, jours de la semaine, 28, cycle solaire, 19, cycle lunaire, et 532, cycle luni-solaire.
Ces chiffres sont matérialisés dans la composition du bois des Sept Etoiles : les 7 angles du pavillon, les 28 piédestaux du pourtour du bassin et 532 balustres du bassin et du pont. Ils permettent de déterminer quel jour sera le premier janvier et quelle sera la date de Pâques jusqu'à la fin des temps.
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Dans ce contexte, il est plus que probable que les sept statues du grand périmètre heptagonal correspondaient aux divinités présidant aux sept jours de la semaine.
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De même, la présence d'un escalier escamotable, dépense incroyable, peut se justifier par la fonction cachée du monument : c'est un observatoire astronomique.
Après l'abjuration de Galilée à Rome en 1633, la recherche astronomique était sévèrement contrôlée par l'Eglise et passible d'excommunication si elle ne perpétuait pas la théorie du géocentrisme. On comprendra dès lors la discrétion du Père Charles de Bruxelles et de son neveu, Philippe François d' Arenberg.
Le projet de restauration du bois des Sept Etoiles doit s'achever par le rétablissement d'une statuaire sur les sept socles, illustrant les sept planètes connues avant l'utilisation d'instruments d'optique au début du XVIIème siècle.
En l'absence totale d'informations sur ce qu'étaient les sculptures initiales, il serait intéressant d'organiser un concours international de sculpture, en donnant comme programme la hauteur des statues afin qu'elles intègrent convenablement l'échelle du Bois des Sept Etoiles, les attributs iconographiques de ces figures mythologiques et leur implantation. Un artiste pourrait présenter une ou sept œuvres, académiques ou contemporaines. Le parc y retrouverait une de ses vocations: être un lieu d'exposition et d'initiation à la mythologie.
REFERENCES CONTEXTUELLES.
La Bible contient dans le livre des Proverbes 9-1 cette phrase: La Sagesse s'est bâti une maison, elle a taillé sept colonnes ...
La manipulation géométrique basée sur l'heptagone n'est pas étrangère à celle que Pythagore et ses disciples opéraient sur le pentagone pour obtenir le pentagramme, étoile à cinq branches si parfaite dans ses rapports harmoniques qu'elle est devenue leur signe de reconnaissance.
Saint Thomas d'Aquin (1226-1274) a écrit un livre intitulé Aurora Consurgens. La cinquième parabole parle de la maison aux trésors que la sagesse a bâtie sur la pierre.
La Sagesse s'est bâti une maison ...
La beauté de cette maison est ineffable. Ses places et ses murs sont faits d'or très précieux; ses portes brillent de l'éclat des perles et des pierres précieuses; ses pierres angulaires sont au nombre de quatorze et contiennent les vertus principales du fondement tout entier :
La première est la santé,…
La seconde est l'humilité,…
La troisième est la sainteté,…
La quatrième est la chasteté,…
La cinquième est la force,…
La sixième est la victoire,…
La septième est la foi,...
La huitième est l'espérance,...
La neuvième est l 'amour, ...
La dixième est la bénignité,…
La onzième est la patience,…
La douzième est la tempérance,...
La treizième est l'intelligence spirituelle,…
La quatorzième est l'obéissance ...
Et Alphidius parle dans son livre de la maison aux trésors dont il enseigne qu'elle peut être ouverte à l'aide de quatre clés qui sont les quatre éléments.
Un livre paru à Venise en 1499 a eu une influence très importante sur l'architecture des jardins. Il est l'œuvre d'un dominicain, Francesco Colonna: Polyphili Hypnerotomachia ou Songe de Polyphile. Il contient une illustration abondante qui a été utilisée comme modèles d'architecture. Le récit de l'amour malheureux de Polyphile pour Palia qui le rejette, est le prétexte pour décrire un voyage onirique à l'île de Cythère et au Temple de Vénus. L'île de Cythère est parfaitement circulaire, environnée d'une clôture de myrte fleuri. Vingt chemins radiaux recoupant d'autres chemins concentriques forment une trame de trapèzes: bosquets, prés clôturés, vergers, jardins de topiaires. Un fleuve limpide et circulaire que l'on franchit par des ponts symétriques, entoure des prés herbeux et fleuris, un gradin de sept degrés circulaires et au centre un temple dédié à Vénus, heptagonal. La forme radioconcentrique, les bosquets, le rondeau et le temple heptagonal font du Pavillon des Sept Etoiles d'Enghien l'illustration la plus complète du Songe de Polyphile (Fig. 16).
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Salomon de Caus (1576-1626), hydraulicien et architecte travaillArchiducs Albert et Isabellesabelle à Bruxelles, publie en 1624 La pratique et la démonstration des horloges solaires. Antoine d' Arenberg, avant de devenir le Père Charles, fréquentait la cour au titre de chambellan de l'archiduc Albert en 1615.
Les villes nouvelles créées depuis la Renaissance adoptent de préférence un plan central, polygonal. Les angles sont renforcés de bastions affectant la forme de pentagones aplatis afin de disposer les canons en tir droit et tir flanquant. A partir du centre, les voiries radiales permettent un contrôle parfait de tout mouvement suspect en ville.
C'est le cas de la ville de Palma Nuova, plan ennéagonal créé par Vincenzo Scamozzi au Nord-Est de Venise en 1615. Au centre, un rondeau et une tour engendre l'alternance de grandes et de petites allées rayonnantes recoupées par des voiries concentriques. C'est également le cas de Mannheim fondée en 1606 sur plan heptagonal.
Wenceslas Cobergher (1557-1634), architecte des Pays-Bas du Nord construit également pour les Archiducs la Basilique de Montaigu ou Scherpenheuvel à partir de 1609, sur base d'un plan heptagonal. Le jardin qui entoure l'édifice est structuré suivant sept rayons issus de l'heptagone central (Fig. 17).
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LE PROJET DE RESTAURATION.
Le projet entrepris par la Ville d'Enghien avec l'aide du Fonds Européen FEDER, du Ministère de la Région wallonne, Division de la Nature et des Forêts, et de la Division du Patrimoine a été scindé en plusieurs phases.
En 1997, de mars à septembre, l'abattage de 785 arbres et 280 arbustes, le dessouchage, le nivellement des sols, la restauration des fossés et des canalisations de drainage, l'ensemencement des compartiments à l'aide d'herbes fleuries ont été confiés à l'Entreprise DUBOIS de Bois-Seigneur-Isaac pour un montant de 11.909.570 francs h.tva.
En 1998, de janvier à juin, le report du tracé général, la réalisation des chemins de gravier, la remise en place de ce qui subsistait comme termes et comme piétements de bancs ont été réalisés par l'entreprise SOLVERT de Lasne pour un montant de 6.947.921 francs h.tva.
En 1999, de janvier à avril, l'entreprise SOTRABOIS de Perwez a procédé à la replantation de 10.773 charmes en palissade, et 348 arbres hautes tiges dont 148 hêtres pour un montant de 7.919.288 francs h.tva,
Un dossier de restauration du mobilier, soit la réparation des termes et des bancs manquant au rondeau, et l'implantation de nouveaux bancs aux carrefours circulaires et aux bastions est actuellement mis en adjudication (août 1999). Estimation: 3.500.000 francs h.tva.
La restauration du Pavillon des Sept Etoiles et du Bassin est en cours d'études. Elle a été estimée en 1987 à vingt-cinq millions h.tva. Elle comprend les travaux du dallage, du plafond en coupole, de la toiture, la réparation des pierres et leur remise en couleur, la remise en place des digues du bassin et la restitution de la balustrade faisant le tour complet du pont et du bassin.
Pour la remise en place des statues des Sept Etoiles, le principe du concours est adopté mais son organisation et surtout son financement restent à définir (Fig. 18 & 19).
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CONCLUSION.
Le pavillon et le bois des Sept Etoiles sont une réalisation exemplaire de l'esprit baroque et humaniste. Face à notre science analytique, cette œuvre témoigne d'une synthèse bouleversante des disciplines multiples : astronomie, géométrie, théologie, mythologie, architecture, botanique, hydraulique ...
La préoccupation de cette époque était de trouver une loi universelle régissant tous les aspects du monde, loi unique puisque divine. S'en rapprocher était un gage d'équilibre.
Antoine d' Arenberg avait bénéficié d'une formation hors du commun : il avait été invité par son oncle Charles de Croy au château d'Heverlee pour fréquenter l'Université de Leuven, il disposait d'une bibliothèque remarquable, il voyageait et assumait les plus hautes responsabilités de son Ordre.
Son œuvre à Enghien est d'une modernité inaltérable, celle qui après trois cent cinquante ans nous étonne, nous touche, nous enseigne.
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